Des étapes à petits pas glissants

Chers amis, chère famille, la suite (qui s'approche de la fin)!

C'EST DE TA FAUTE / MAIS NON / MAIS SI
Parfois quand je vois ces couples qui s'engueulent je me dis: "Mon amour qui que tu sois grand gros gras grain d'orge ou petit pot de beurre (d'ailleurs quand te dépetitpotdebeurrerisas-tu?) ne devenons pas ainsi." 
L'autre jour il pleuvait. La femme avait l'air de reprocher à l'homme l'eau qui tombait du ciel. 
Ça m'a rappelé un film, une histoire de requins. Seuls et abandonnés au milieu de l'océan, avec les prédateurs à grandes dents qui rôdent, un homme et une femme s'embrouillent, le couple se déchire: "Mais c'est toi, qui voulait faire de la plongée! Moi je voulais aller faire du ski!"
On pourrait instaurer un Diplôme du savoir voyager. Ou du savoir vivre tout court d'ailleurs. J'ai toute une collection de livres sur l'art de vivre, de cuisiner, d'aménager son foyer, de bricoler, de se faire belle et ci et ça des années 50-60; je trouve ça fascinant. Alors certes, les "bonnes manières" et autres petits guides dans le genre sont un peut désuets mais après tout...

MIMI CRACRA
(Dessin animé de mon enfance sur les aventures d'une petite fille sans parents - ce qui m'a toujours intriguée - et dont la chanson de générique disait "Mimi Cracra l'eau elle aime ça / Moi l'eau j'adore ça, ça dégringole et je rigole / Mimi Cracra l'eau elle aime ça, encore un peu d'eau pour Mimi Cracra")
Comment est-ce possible? S'il te plaît, cher Pierre Richard, je t'admire, je t'adore, mais je t'en prie, sors de mon corps! En ville, terrain pourtant a priori peu risqué (par rapport à la jungle par exemple), j'arrive à m'asperger de boue, à mettre le pied là où il ne faut pas (pour être propre) ou peut-être là où il faut (pour être drôle). Je marche de flaque en flaque (floc floc) plutôt que de sec en sec (sans son spécifique). 

IL Y A BIEN DES FAÇONS DE MARCHER
À Nong Khiaw, il y a un "view point" (on dit ça "point de vue"? ou on rajoute "panoramique"? je sais plus...). Il faut grimper pendant 1h30 sur une montagne. C'est un peu comme un très grand escalier puisque la pente étant très raide, des sortes de marches sont formées dans la terre avec parfois des renforts en bois. À certains endroits, des cordes vous prêtent main forte. On vous donne un bâton de pèlerin pour vous épauler. 
Je me lance. Pfff, si c'est ça tout du long... En plus, avec toute cette pluie, c'est très boueux et très glissant. Je ne suis pas sûre d'aimer ça mais il paraît que la vue est superbe. 
Quand ça grimpe fort, j'ai besoin d'aller vite. Pas (seulement) pour un besoin de performance mais parce que je trouve ça encore plus pénible d'aller lentement, j'ai l'impression d'être de plomb si je n'utilise pas un peu de rebond. Il paraît qu'il y a deux types de constitutions: les sprinteurs et les marathoniens. Je dois être de la première catégorie. Et puis, instinctivement, mon corps cherche à abréger ses souffrances; en baver oui mais le moins longtemps possible. Je dépasse un couple: "Wow, you go so fast!" Pour l'instant, pour l'instant... je ne suis pas sûre de donner très cher de ma peau un peu plus haut. Le chemin passe entre les arbres. J'ai mis de l'anti-moustiques mais en milieu boisé et pluvieux ils sont chez eux. En plus, d'après un article, les bestioles seraient attirées par la sueur (et par les gens du groupe O+; on dit bien groupe donneur universel) comme moi. Je remets du pschitt (celui dont je vous ai parlé et dont l'odeur me rappelle celle du pschitt à chiottes). Ça pique un peu. Les pores de ma peau qui sont bien ouverts pour laisser sortir la sueur le sont aussi pour laisser pénétrer le produit bien concentré en DEET, ça ne doit pas être très bon. Les moustiques s'en foutent toujours. Puisque la barrière chimique ne suffit pas, je décide de passer à la protection textile et je mets mon sweat à capuche. Je vais suer comme un porc dans un sauna mais à choisir entre deux maux, j'opte pour celui-là. De toute façon, vu le terrain, je ressemble déjà à un cochon qui s'ébroue dans la gadoue. Je chante tout mon répertoire de chansons entraînantes. Je râle et je me rends compte que cela fait longtemps que je n'ai pas râlé. Il faut dire que depuis deux mois je nage dans une expérience totalement égoïste puisque je fais ce que je veux, je n'en fais qu'à ma tête. Cette randonnée ne m'amuse pas et je me rends compte que cela fait longtemps que je n'ai pas fait quelque chose qui ne "m'amuse" pas. La retraite au monastère par exemple, ça n'était pas amusant. Mais suffisamment intéressant pour que je m'accroche. Je ne suis pas hilare depuis deux mois mais je suis dans un état d'esprit où j'essaie au moins de transformer en expérience amusante ou intéressante les trucs qui me gavent. Là, ça me gave tout court. À moins d'avoir une épiphanie au sommet, on ne sait jamais. Et j'y arrive. En une heure dix plutôt qu'en une heure trente. Et c'est vrai que c'est très beau. Comme je suis partie très tôt, la brume du matin est toujours là, bien lourde entre les falaises et sur la rivière, elle hésite à sortir de son lit, elle bouge tout doucement. Mais je trouvais déjà ça sublime d'en-bas. Là-haut, il y a du vent et ça fait du bien. Après il faut redescendre le toboggan de boue. J'ai mis mes genouillères (j'ai les genoux capricieux) mais je sens que ça va être un peu douloureux quand même. Ça glisse bien mais c'est la fin. Je fais juste gaffe à ne pas m'emballer, me dire "c'est plié, emballé, c'est pesé" et me tuer en me vautrant. En bas, je remarque que j'ai un escargot dans les cheveux. Et la femme de l'hôtel à qui je donne ma lessive s'y reprendra à trois fois pour nettoyer la boue rouge de mon pantalon. 
Je ne comprends pas: tout le monde aime la randonnée! Certains les trucs extrêmes, d'autres la randonnée de courte durée mais tout le monde aime ça. Et ça a l'air super, et j'adore qu'on me raconte et tout mais pourquoi moi, je n'aime pas ça? Je pourrais me dire que c'est parce que ça se fait à plusieurs mais là j'étais toute seule. Je pourrais me dire que c'est parce que je n'aime pas la montagne mais je la trouve sublime et j'adore la regarder. Je pourrais me dire que c'est parce que je n'aime pas marcher mais ça n'est pas vrai non plus puisque je ne prends quasiment jamais de tuk-tuk dans les villes que je traverse et que sur une plage normande qui s'étend sans fin ou sur le bord venteux d'une falaise bretonne je peux avancer sans lassitude mentale ou physique. Alors quoi? En fait, je n'aime pas le sport? Bah non, c'est pas vrai non plus. C'est vrai que j'aime sans doute moins le sport quand je suis en vacances; du sport j'en fais déjà pour mon boulot. Mais je n'aime pas tous les sports. C'est con pour la randonnée parce que c'est un plaisir pratique qui permet de voyager, de faire des trucs en famille ou entre amis. 
Mon amour qui que tu sois, petit pot de beurre ou grand gros gras grain d'orge (d'ailleurs quand te dégrandgrosgrasgraindd'orgeras-tu?) tu iras trekker avec tes copains plutôt que de regarder le foot une bière à la main et je ferai la cuisine. J'adore cuisiner. 
Après tout, il y a des gens qui aiment les choux de Bruxelles et qui n'aiment pas les framboises. La nature fait des erreurs humaines. 
Ou alors: en fait, je suis une grosse flemmarde. Sauf quand je travaille. 
Voilà, je viens de me déshonorer publiquement, de m'auto-déshériter. Je crois que je viens même de déshériter toute ma potentielle lignée. 
J'ai évoqué le lien trek-héritage à plusieurs reprises et comme la blague revient souvent, je me dois de l'expliquer à ceux qui n'ont pas les clés pour la comprendre... 
En gros, mon père est un alpiniste, un vrai de vrai. C'est un truc de famille. Et j'aime bien quand il me raconte ses courses de montagne. Mais moi, je préfère écouter et regarder la montagne. Je me souviens que l'été de mes vingt-six ans, je me suis dit que j'étais assez grande et j'ai avoué du bout des lèvres que j'aimais certes beaucoup l'escalade (et ça c'est vrai de vrai, j'adore et je n'ai même pas besoin d'aller dehors pour adorer, dans une salle je kiffe!) mais que "heu... je crois... que, en fait... j'aime pas marcher..."
À ma décharge il est vrai que j'ai très vite mal au genou gauche lors des descentes.
Mais maintenant il y a Friburge et tout va bien. Friburge est une maison magique qui fait depuis peu partie de la famille. C'est une maison qui se comporte comme une reine; elle n'aime pas les voitures et l'hiver on doit la rejoindre à pieds et là où elle est, elle a demandé aux avalanches de bien vouloir passer à sa droite ou à sa gauche mais pas sur elle. Et comme la Reine est grand prince, on vit bien chez elle. J'ai plaisir à y être sans obligatoirement avoir " à y faire". Du coup, je suis réconciliée avec les vacances à la montagne. Je n'ai toujours pas envie de faire de treks mais j'ai envie d'aller à Friburge.  Et j'ai découvert le ski de fond pour l'hiver. 
En même temps, comment voulez-vous que j'aime randonner? La première photo qui existe de moi date du moment où j'étais encore loin d'être moi mais une hypothèse qui a décidé de s'accrocher aux branches de l'évolution. Sur cette photo, on sait que j'y suis parce que je suis un bébé programmé. Et que voit-on sur cette image? Ma mère affalée sur un tas de neige en pleine course de ski de randonnée, l'air boudeur et mécontent. Je vous enverrai la photo à mon retour. 
Mon désamour de la randonnée est donc une histoire de métabolisme sportif, de choux de Bruxelles et de framboises et de conflit originel dans lequel Freud pourrait fourrer son nez à lunettes.
Enfin on ne sait jamais, peut-être que je changerai d'avis. En plus il paraît que c'est super avec des enfants. Alors je ne sais pas si j'aurais des enfants. Je dis souvent que le jour où j'aurai un "mari", je pourrai enfin avoir des plantes vertes et un chat (pour s'en occuper quand je ne suis pas là) et potentiellement un enfant. Mais mon amour, où que tu sois, qui que tu sois, marmotte, poisson, lynx ou crapaud ou chasseur sachant chasser (d'ailleurs quand me chasseras-tu sans ton chien?), peut-être te dirais-je "va treker avec l'enfant, je ferai la cuisine". J'adore cuisiner.

MA PROCHAINE LISTE DE COURSES À BELLEVILLE
(après mon fromager)
D'ailleurs j'ai pris un cours de cuisine. J'ai réalisé un "laap". C'est un plat traditionnel que l'on trouve à la carte de tous les restaurants. C'est une salade tiède de viande ou de poisson et parfois à base de tofu ou de légumes (mais surtout dans les restos où viennent des étrangers et où il est bien plus facile de manger végétarien que dans les bouis-bouis). La viande est coupée finement puis saisie rapidement. Si c'est du poisson, on le cuit simplement à la vapeur et on l'émiette. Et puis on mélange avec ail, galanga, oignon rouge, coriandre, menthe, petits piments, haricots longs, citron vert, poudre de riz, bouillon en poudre, sauce de poisson, sucre. Si c'est du poulet ou du porc, on peut ajouter des rondelles de fleur de bananier. C'est très frais et très bon, j'en ai d'ailleurs souvent mangé. Le second plat était du poisson cuit à la vapeur dans une feuille de bananier avec œuf, tomate, aubergine, oignon rouge, aneth, coriandre, feuille de citron-kaffir, basilic thaï, piment et le mélange de base qui assaisonne tout poudre de riz-bouillon en poudre-sauce de poisson-sucre. Et puis j'ai bien sûr aussi réalisé un dessert (même si en Asie, les "desserts" sont rarement pris à la fin du repas et plutôt entre les repas) avec petite banane, lait de coco, pandan et riz gluant. La cuisine laotienne est assez simple, les recettes sont davantage des principes à suivre et à adapter que des règles strictes. C'était très chouette et très bon. J'ai même le mail du cuistot si j'ai besoin d'un service après-vente. L'avantage c'est, qu'habitant à Belleville, je trouve tous ces ingrédients facilement, la plupart étant déjà d'ailleurs dans mon frigidaire car je cuisine beaucoup plus à la mode asiatique que française dans mon quotidien. 
J'avais déjà pris un cours de cuisine au Cambodge (cuisine un peu plus complexe) et cela m'avait laissé un très bon souvenir. Il faut dire aussi que le cuisinier était un ancien journaliste qui était fatigué d'avoir peur. Il avait beaucoup parlé de l'histoire et de la politique actuelle du pays et c'était fascinant. Et cela satisfaisait tout à fait mon côté français que de parler de nourriture et de politique, notre grande spécificité. Là, c'était moins fascinant mais en même temps, heureusement que tous les journalistes ne se reconvertissent pas en cuisiniers. 

DANS MA CABANE AU LAOS
Au mois de mars, quand le fameux démon du voyage de Blaise Cendrars a pointé son long museau, j'ai très sérieusement hésité entre deux projets très différents. Soit partir en Asie, mais au moins deux mois parce que cette durée en fait une expérience plus intense. Soit partir toute seule en ermite dans une cabane très isolée au bord d'un lac en Finlande mais moins longtemps, parce qu'il me semblait probable de craquer plus rapidement (le livre que tu m'as offert, cher Gérald, n'était sans doute pas étranger à cette pulsion). J'ai opté pour l'option exotique, ce qui a eu l'air de rassurer beaucoup de gens autour de moi; cela leur semblait moins austère. Mais je ferai l'ermite en Finlande un jour. Il y a de superbes cabanes paumées avec sauna, forêt, solitude et lac (et moustiques). Finalement, entre ma retraite au monastère et mes neuf nuits au paradis, j'aurais quand même réussi à m'octroyer des sas de grande tranquillité, ne parlant pas beaucoup voire pas du tout. 
Mon petit temps hors du temps à Nong Khiaw était un bon temps.
Ma chambre donnait sur le jardin. C'est tant mieux. La vue sur la rivière est magnifique mais côté jardin on ne voit personne personne et on n'entend pas les quelques bateaux qui passent. Ils ne sont pas nombreux mais ils font un bruit de tondeuse à gazon, ça rompt un peu le charme. D'ailleurs, le moteur doit être le même. La Nam Ou est marron presque rouge avec tout ce qu'elle charrie de bord de rive avec les pluies de cette saison. Enfant, on nous apprend à dessiner en bleu le moindre filet d'eau. C'est idiot. On ferait mieux de nous apprendre à bien regarder le monde. Le bleu de l'eau est une vue de l'esprit donc une bévue des yeux.
C'est un couple germano-laotien qui tient l'hôtel. Ils ont créé ce lieu il y a trois ans. Tout est construit de la manière la plus écologique possible, les textiles viennent d'un petit village inaccessible de la région, le sol est en béton ciré, les éléments en bois viennent des arbres morts qui étaient sur le terrain. Ils prient leurs clients d'être indulgents en cas de lenteur ou d'erreur car ils emploient des gens du coin qui apprennent doucement l'anglais et leur métier. La confiture et le pain du petit déjeuner sont faits maison. Le mari allemand était très gentil, très discret, je n'ai pas eu besoin de raconter quoi que ce soit. Ça ne m'aurait pas gêné de faire la conversation, si j'avais voulu j'aurais d'ailleurs pu mais ça ne me manquait pas. Le propriétaire m'appelait par mon prénom et je me suis rendue compte que ça faisait longtemps qu'on ne l'avait pas fait. Malheureusement, je crois que le couple n'allait pas très bien, rien de visible mais plutôt un truc dans l'air. Et puis lui, il avait l'air un peu triste. Pas triste-lugubre-fermé, au contraire, mais simplement triste. 
J'ai donc passé neuf jours là-bas, surtout perchée dans la cabane en bambou sous le toit de ma chambre. En deux temps trois mouvements, j'avais déplacé la bouilloire pour monter la table sur la mezzanine et m'y installer un "bureau-table à manger", déployé un châle pour occulter une étagère, posé un tapis de yoga emprunté à la réception. C'est quand même amusant cette faculté à faire d'un endroit un chez-moi (où je me sens chez moi, même si ça ne ressemble pas à chez moi, comme quoi le chez-soi est quelque chose de moins matériel et concret qu'on le croit) dès que j'y reste un peu. En tournée, il y a ceux qui laissent tout dans leur valise même s'il s'agit d'une longue période de résidence et ceux qui utilisent le placard de leur chambre. Moi, j'utilise les placards.
Au paradis, j'aimais aller nager au moment des ondées.
J'aime bien me baigner sous la pluie (en chantant pourquoi pas).
J'ai écouté plein d'émissions de France Culture, dont une série sur Woody Allen grâce à laquelle j'ai découvert un double album de ses années stand-up. C'est hilarant. C'est comme quand j'écoute les enregistrements de Desproges, je suis toute seule et je suis morte de rire. Je conseille vivement.
Il y a eu un jour où j'avais très envie d'un passe-temps qui n'a aucune autre ambition que ce que dit son nom. Voire même carrément d'un tue-temps. J'avais un cahier de mots fléchés mais il était tout rempli, tout fini (il faudrait que j'arrête de tricher, ça durerait plus longtemps). D'habitude, dans ces cas-là, je joue à Tetris. 
Là pour essayer, j'ai regardé via mon téléphone des articles de magazines féminins français. Ohlala c'est triste. Il y a déjà un moment que je n'achète plus ces lectures dans les gares mais n'empêche, on voit quand même ces magazines dans les kiosques, ou en tout cas ce qu'ils véhiculent est présent dans la pub et un peu partout. Là, ça faisait longtemps que je n'avais pas été en contact avec "ça". Et "ça", c'est assez terrifiant en fait. C'est tellement rempli d'injonctions contradictoires qu'on ne peut que se sentir nulle et larguée. En gros, dans le sexe: cessez de rechercher l'orgasme dans la performance, vivez votre plaisir de manière instinctive mais lisez donc l'article qui enseigne les positions préférées des hommes; pour manger: tout est permis, la frustration engendre le déséquilibre mais quand même lisez l'article qui vous conseille de ne manger que de l'ananas; pour bouger: attention à l'addiction sportive mais jetez un œil à ces exercices à faire devant la télé; pour les relations amoureuses: le célibat c'est génial mais comment trouver l'homme de sa vie... et patati et patata... Bouh bouh bouh. 
Sinon, il y avait aussi mon horoscope du jour (très long et précis pour une seule petite journée d'ailleurs). 
Petite sélection...
•Amour: Vous aurez la possibilité d'évoluer dans un climat de sérénité et d'euphorie. [...] Célibataire, Vénus sera de votre côté. Vous aurez donc toute la journée durant laquelle l'amour sera à portée de votre main. À vous de jouer ! Les planètes peuvent faire beaucoup de choses pour vous, mais certainement pas embrasser quelqu'un à votre place !
(Je ne peux pas leur donner tort, je suis restée cloîtrée dans mon bungalow. Mais je ne vais sûrement pas demander à Mme Soleil d'embrasser qui que ce soit pour moi).
•Argent: Subissant les influx planétaires euphorisants dans leur ensemble, vous songerez plutôt au meilleur moyen de dépenser agréablement votre argent. Et si vous êtes à sec, vous trouverez des arguments très convaincants pour persuader vos proches de vous dépanner. [...]
(Ne vous inquiétez pas, je n'en suis pas encore au point de vous faire payer la lecture de ces mails).
•Travail: Vu les influx désordonnés de Mercure, vous pourrez voir certaines de vos ambitions professionnelles contrariées par des circonstances indépendantes de votre volonté, circonstances qu'on nomme généralement mais abusivement "le destin". [...] Des entraves rébarbatives vous empêcheront de réaliser des projets que vous aimeriez voir se concrétiser plus rapidement. Prenez patience !
(Là, c'est comme à la section Amour, je suis à l'abri de déconvenues pour le jour d'aujourd'hui).
•Famille: [...] Avec vos parents, la communication sera momentanément plus difficile. Mais en même temps, vous aurez à cœur de régler les choses en profondeur. Et finalement, cette journée assez tendue se révélera positive !
(J'ai préféré ne pas vous écrire ce jour-là chère famille, on ne sait jamais).
•Vie sociale: Vous serez attiré par les personnes mystérieuses et parfois même par celles qui dissimulent le vide de leur esprit derrière le rideau de fumée des mots creux. En fait, vous vous satisferez un peu trop d'incertitudes et remettrez indéfiniment la conclusion de vos entreprises amicales.
(Je sais pas trop ce que ça veut dire mais je trouve ça très bien écrit).
•Citation du jour: Un amour idéal, c'est celui qui est mené par la poste (George Bernard Shaw).
(Je n'ai pas osé écrire à mon fromager).

MAISON
Pour la première fois, j'ai eu très envie d'être chez moi. Ça devait être à cause de la newsletter de mon fromager. Même lors de mon coup de mou birman, ce n'était pas ça que je ressentais. Là, j'avais envie de "ma maison". Remarquez, après plus de deux mois c'est plutôt sain.

ENTRE LES MAINS DE...
J'aime bien les massages et comme ça n'est pas très cher, je ne me prive pas. Mais quand même, ils ne sont pas bons partout, il y a des mains qui savent et qui sentent, d'autres pas. L'autre jour, le massage qu'on m'a donné m'a fait penser à une pêche pas mûre. Je ne suis pas contre les fruits pas mûrs. Surtout les poires. Elles gagnent en fraîcheur ce qu'elles perdent en sucre. Et pourquoi pas les pêches (plutôt blanches). Et beaucoup les mangues (très vertes, comme on les mange ici, en salade épicée, ou avec du sucre et du piment). En fait, il y a beaucoup de fruits qui sont bons avant maturité. Il n'y a que les bananes pas mûres, ça c'est vraiment mauvais quand c'est trop jeune et pas assez jaune, c'est tout âcre-pâteux. Le massage à l'asiatique n'a souvent pas l'aura zénatifiant-pouet-pouet qu'on lui donne dans l'ouest. C'est davantage perçu comme quelque chose de quotidien. Pour ceux d'entre vous qui connaissent les chinois de Louis-Blanc, on est plutôt dans cette tonalité. Les masseuses sont souvent de vraies pipelettes qui se disent des trucs et qui parfois répondent au téléphone. L'autre jour c'était rigolo; j'ai commencé sur le ventre avec une masseuse et quand je me suis mise sur le dos, j'ai vu qu'elle avait pris un sacré coup de jeune. Ça n'était pas la même. Dans un autre endroit, j'ai eu droit à un massage des pieds (très réussi au demeurant) en regardant "La planète des singes" (vieille version) avec le mari de la dame.


PARLER DES PIEDS
Par deux fois on m'a dit entendre un peu de québécois dans ma voix. Ça doit être parce que je parle peu français, quand ça sort, c'est anarchique. Enfin une fois, je crois que c'est parce que j'avais entendu parler des Suisses. Une sorte de mimétisme sans doute. Sauf que je ne sais pas parler d'autre accent que le québécois.
Vous ne remarquez sans doute rien quand vous me reverrez, mais j'ai un peu bronzé. (Je sais très bien et très précisément lesquels d'entre vous se marrent et quel ricanement vous émettez.) 
Disons que je suis passée du teint d'opale de l'aristocrate cloîtrée à la bonne mine de l'aristo occasionnellement culbutée dans les blés.
Je me demandais tout haut et avec vous si mes pieds souffraient de saleté ou d'UV. Par honnêteté, j'avais penché pour la poussière incrustée dans les pores de ma peau. Mais j'ai une bonne nouvelle: je bronze aussi des pieds! C'est une nuance subtile mais je la repère. Je ne suis pas sale, je suis en vacances.
Parlant de pieds...
L'Allemagne va mal. Elle peut dire ce qu'elle veut, faire les gros yeux, montrer ses muscles et sortir les crocs, elle est mal dans ses pompes.
En 2005, j'ai acheté ma première paire de Birkenstock dans un magasin à Montréal où un monsieur qui serait aujourd'hui très à la mode vu le franc succès remporté par ces chaussures (et la taille de sa barbe) mais qui à l'époque n'était qu'un genre de podologue aux cheveux longs, avait même gardé mes sandales quelques jours pour y faire de menus ajustements et faire de moi une Cendrillon baba cool. Le prix était plus élevé qu'aujourd'hui mais elles ont duré huit ans, ce qui est un bon retour sur investissement. Je n'ai fini par les abandonner que parce que les kilomètres à pied usent les souliers et qu'elles étaient devenues presque aussi plates que des tongs. Mais jamais mes chaussons qui faisaient soupirer mes pieds de soulagement n'ont donné un quelconque signe de défaillance. L'année dernière des chiens sri lankais ont dévoré ma nouvelle paire du même modèle et je n'ai donc pas pu tester leur longévité. Donc cette année, rebelote, je rachète le même modèle sauf que maintenant il y a une boutique en plein Marais parisien et que les vendeurs sont plus préoccupés par leur coiffure que par la perfection cordonnière. Et bien, tout se perd, Birkenstock est devenue une marque merdique, sans doute parfaite pour le trottoir mais plus du tout pour la vadrouille. Elles se décollent de partout et le liège de la semelle est beaucoup moins compact et commence déjà à s'effriter. J'ai dû acheter de la colle par trois fois. D'ailleurs, c'est assez amusant de mimer glu quand on essaie d'expliquer ce qu'on veut au vendeur. Le meilleur moyen de se faire comprendre reste d'avoir aux pieds ses chaussures décollées et de montrer que la semelle fait flop-flop. Certes, en voyage, les chaussures souffrent un peu, surtout s'il pleut. Mais la paire qui a duré huit ans en a vu de toutes les couleurs aussi. Quelle déception, quelle déception, tout se perd...
D'ailleurs, beaucoup beaucoup de voyageurs au long cours, ceux qui partent six mois, un an, un an et demi sont... allemands. L'une d'entre elles se demandait s'il restait de jeunes allemands en Allemagne.

BRUITS DE BESTIAIRE
Moment difficile. Le sommeil est là, tout près, c'est l'heure d'éteindre la lumière. Et un moustique pique. Sauf que je suis sous ma moustiquaire. Et là, je me dis que c'est embêtant parce que ce qui empêche de rentrer empêche a priori de sortir et que le petit malin qui s'est faufilé jusque-là, risque de ne pas trouver de porte de sortie. Je suis donc sous ma moustiquaire avec un moustique. Je me demande si ça tient bien la route et si ça a une bonne descente ces bêtes-là. Combien de verres de suite peut s'enfiler un seul et même mini-vampire?
Je n'aime pas tuer les insectes et je le fais le moins possible, je vous le jure. Mais je dois confesser avoir abattu quelques moustiques. Je plaide la légitime défense.
Mais je me pose une question: si j'arrête de manger de la viande, les moustiques arrêteront-ils de me manger moi? Donnant-donnant non? Allons jusqu'au bout et végétariannisons toute la chaîne alimentaire.
Les limaces ne jouissent pas du même capital sympathie que les escargots. On est décidément injuste avec les SDF. Parfois elles tombent d'on ne sait où. Comme ça. Plouf-Splurch. Y'en a une qui a failli atterrir dans mon assiette. Elles aiment bien sortir après la pluie. Mais on les voit mal. J'ai posé ma main sur l'une d'elle en saisissant une rampe d'escalier. Splack-Berk. Par contre, là où elles sont gagnantes, c'est que personnes n'a envie de les écraser. Spprouuuichhh. 
J'ai vu un mille-patte énorme. Je ne savais même pas que ça pouvait exister dans cette pointure. Pour ceux d'entre vous qui participent depuis un certain temps à ce questionnement métaphysique, je peux vous dire que, vue la taille de la bête, qui, s'il serait exagéré de la comparer à un saucisson avait néanmoins des airs de famille avec la saucisse sèche, peu importe la tranche ou la rondelle, la découper aurait donné de sacrés steaks... 
On dit "fier comme un coq". Vraiment il est vraiment fier? Parce que je l'ai beaucoup entendu dans mon petit creux de verdure où chantait une rivière. Très tôt mais je n'en avais cure, je me levais très tôt aussi et puis le bruit m'empêche rarement de pioncer si je suis fatiguée. Mais bon, soyons honnêtes, c'est pas très très élégant ce "chant du coq". Je me demande ce qu'il dit. Parce que ça pourrait être "debout bandes de mollassons" ou "mon Dieu, pourquoi m'as-tu créé insomniaque, j'aimerais tant faire la grasse mat'". Peut-être dit-on qu'il est fier parce qu'il sait se faire remarquer. Mais dit-on fier comme un coq dans d'autres langues? Ou bien ne le dit-on qu'en français pour justifier un emblème national dont on se demande d'ailleurs d'où il sort vu qu'il y a des coqs partout?

BOUE DE LA NAM OU MAIS FORT JOLIE GADOUE
De Nong Khiaw, je suis allée à Muang Ngoy en bateau. Le village n'est accessible que par voie fluviale, il n'y a pas (encore) de route. Dans les années 90, les étrangers qui y allaient disparaissaient pendant un mois ou six, perdus dans des vapeurs opiacées et celles de la rivière. Mais ça n'est plus le cas aujourd'hui. Je ne suis donc restée qu'une nuit. Le trajet est magnifique. Muang Ngoy est un petit village dont la seule rue (la bien nommée rue principale donc) n'est pas asphaltée. En ce moment la rue n'est pas en terre mais en boue. Les gens mettent des planches et des pierres pour marcher sans trop patauger. Et tout le monde marche plus ou mois lentement en maintenant son équilibre. C'est amusant. Mais pour moi, ma maladresse et mon Pierre Richard intérieur, une telle rivière de boue ressemble à un champ de mines. Ça ne s'est pas si mal passé mais j'ai quand même réussi à enfoncer complètement mon pied dans la gadoue. Elle était rouge et collante comme de la glaise, pas facile à décoller du pied et des pompes. Du coup, mon pied gauche est plus bronzé que mon pied droit... 
Il y a beaucoup de treks et de balades à faire dans le coin. Les touristes ayant prévu d'en faire étaient pris de sérieux doutes quant à la pertinence de leur projet rien qu'en traversant la rue. Ayant renoncé à mon héritage, je les laissais douter, mon hamac avec vue sur la rivière et les énormes falaises m’attendaient. Et Marcel aussi, il a du mal à chercher le temps quand il suffoque sous sa couverture et que je ne le regarde pas. Il a un grand problème avec l'abandon, il ne pense qu'à une chose, être désiré; il en parle tout le temps le pauvre

DESCENDRE PAR DEMI-TONS
Après Muang Ngoy, direction Luang Prabang. Pas pour y rester puisque j'y avais déjà passé du temps mais pour faire une pause sur le trajet vers Vientiane. J'aurais pu tout faire d'un coup: bateau, attente, bus, attente, bus de nuit, mais allez savoir pourquoi ça ne me tentait pas du tout. À Nong Khiaw, le vendeur de la gare routière est un monsieur que j'avais croisé plusieurs fois dans la rue les jours précédents, toujours sérieusement embièré ou peut-être lao-laoté (le lao-lao est le whisky local, à base de riz). Lui acheter un ticket était assez rigolo. Je savais que le bus partait à 13h30 ou 14h30. Je lui pose la question. "One thirthy, ok. Two o'clock, ok. Two thirthy, ok." Eh bien me voilà bien avancée. Je sais bien que les bus ne partent pas toujours à l'heure et je suis tout à fait prête à poireauter, c'est juste que tant qu'à faire, si l'horaire prévu est 14h, je préfère arriver à 14h et attendre 40 min, plutôt que d'arriver à 13h30 et lambiner pendant 1h10. Attendre ça va quand il n'y a pas le choix mais je vais pas faire exprès non plus... Je préfère attendre dans un endroit agréable plutôt que sur le banc en bois de la gare. J'ai opté pour 14h, la voie du milieu. Choix judicieux; nous sommes partis à 14h40. 
Et là j'ai pas compris... J'avais déjà fait ce trajet, dans l'autre sens certes mais c'était la même route. Elle était déjà un peu tape-cul et avait fait geindre une vieille mais c'était supportable. Et pourtant le minibus n'était pas dernier cri. Là, le véhicule était tout neuf ou presque mais j'avais la sensation de participer à un rodéo. Alors soit la pluie avait approfondi les nids de poule qui étaient devenus des nids d'autruche, soit le chauffeur était un chauffard, soit les deux à la fois. Quoiqu'il en soit j'ai eu un peu peur pour mon cœur. Reste concentrée, la nausée n'est pas une fatalité, écoute Woody Allen à fond dans tes écouteurs et tout va bien aller. J'ai réussi à m'endormir, remède à tous les maux mais je ne sais pas comment j'ai fait parce que certaines bosses me faisaient littéralement décoller de la banquette. Ma voisine a d'ailleurs fini par me réveiller, ça faisait bien cinq fois qu'elle prenait sur son épaule de violents coups de boule infligés par ma tête endormie.
Résultat de la course: 3h20 pour 141km soit 42,3km/h. Cadence un peu ralentie depuis la dernière fois, je ne remonterai pas le temps, je risque de prendre l'avion le 15 août.
Quand on met mon sac sur le toit d'un sawngthaew ou d'un minibus parce qu'il n'y a plus de place ailleurs, je ne me sens jamais complètement rassurée. Certes, on y met les bagages de tout le monde et a priori ça tient. Mais parfois, ça ne tient pas... Un sac tombé ainsi l'autre jour nous a valu une jolie marche arrière sur une route à quatre voies.

LÀ OÙ J'EN SUIS AVEC LE RETARD DU DÉLAI DE RÉCIT
Donc petite escale à Luang Prabang avec un sauna aux plantes juste avant le trajet en bus de nuit pour Vientiane. Super idée parce que le sauna aux plantes est une pièce avec vapeur vraiment bouillante générée par un brasier rempli de plein d'herbes et de racines. Ça sent hyper bon et la chaleur est tellement intense que ça shoote complètement.  C'est nickel prévision d'un interminable trajet. 
Mais ce trajet en effet très long vous sera conté la prochaine fois, pour aujourd'hui je m'arrête là. 
En vérité, je suis déjà un peu plus loin sur la route et de plus en plus près de vous mais ce chapitre, je le clos ici quand même, l'exactitude du timing n'est pas très importante.  
J'espère que vous allez tous bien, que l'été vous est doux et que l'ouest a du bon, ça m'aidera à revenir.
Je vous embrasse bien fort,

Valentine

PS: la preuve par l’image, je suis un fœtus de trois semaines et'ai déjà des doutes sur les joies de la randonnée...

Valentine AlaquiLaos