Après promis c'est fini

Pour finir tout ça proprement, un dernier bout de derniers pas.

FINALE EN PLUS OU MOINS 23H
10h de transit, c'est long, trop long - un peu cruel de la part de Saudia Airlines d'organiser des correspondances pareilles. L'aéroport de Riyadh est moins pire que celui de Jeddah. C'est plus grand, on peut marcher, circuler entre deux terminaux en empruntant un grand tapis roulant. À chaque recherche d'un nouvel emplacement, nous faisons l'aéroport en long et en large: ça occupe. À l'étage supérieur, derrière les vitres, on voit très bien le lounge, accessible seulement aux membres Gold. La distinction sociale est bien visible, les pauvres peuvent voir les riches et les riches peuvent observer les pauvres. Sadisme absolu, les sièges sont des fauteuils rigides avec accoudoirs. Impossible de s'allonger. Ou alors par-terre - mais le sol ne donne pas envie partout. Les femmes en burka  sont nombreuses et je vous assure qu'en grand nombre, ça fait un drôle d'effet. Pour certaines, la fente des yeux est si mince qu'on les sent obliger de plisser les yeux pour voir quelque chose; pour d'autres, un morceau de tissu sépare l'oeil droit de l'oeil gauche; pour quelques rares autres, un voile qui semble opaque (mais qui doit j'imagine être suffisamment translucide pour qu'elles ne foncent pas dans les murs) leur recouvre entièrement le visage. J'ai vu deux très jolies jeunes filles (avec de très beaux cheveux), réajuster leur prison de tissu dans les toilettes - et j'ai trouvé ça un peu triste. 
Imaginez à quel point leur rapport au monde est altéré: le champ de vision est restreint, l'ouïe est diminuée, l'odorat aussi, la parole est entravée, la peau ne sent ni le vent ni la densité de l'air, le visage ne participe à aucune interaction non-verbale.
Or, le mimétisme facial joue un rôle important dans l'apprentissage, la compréhension, les rapports sociaux et la capacité d'empathie. Imiter spontanément les expressions du visage stimule des zones précises du cerveau. Il y a beaucoup d'études là-dessus, notamment pour la compréhension du spectre autistique (et mêmes d'autres sur l'impact neurologique de l'immobilisation provoquée par la chirurgie esthétique (botox donc) de certains muscles "d'expressions"!).
Bref, ce sujet est complexe et plus que complexe et tout cela pose question... Surtout lorsque l’on voit les hommes, si à l'aise dans leurs corps, se mouvant avec une détente extrêmement naturelle. Corps libre, corps contraint, corps fluide, corps prison. 
On se demandait avec Camille comment faisaient ces femmes pour manger; on en a vu une descendre juste suffisamment son voile pour pouvoir ouvrir la bouche. 
Peut-être une femme parfaite a-t-elle été clonée et pour éviter de révéler au monde la maîtrise du clonage à grande échelle? Et on l'a voilée de la tête aux pieds.
J'imagine les soirées albums photo. "Quoi? Tu ne reconnais pas tata Germaine? Pourtant qu'est-ce qu'elle ressemble à ta grand-mère Josette..."
En tout cas, je n'aimerais pas être un enfant et perdre ma mère dans un lieu public... l'angoisse. D'ailleurs, on a vu pas mal d'enfants et, si les petites filles ne sont pas voilées, je doute qu'elles mettent souvent le nez dehors. Beaucoup d'entre elles étaient vraiment d'une pâleur mortelle, avec des cernes profondes. Avec Camille, on a d'abord vu une famille et on a eu peur, sans blaguer. On en a observé d'autres; on dirait un élevage de petites Mercredi Addams.

LA DISPARITION DE LA SUEUR
Je suis arrivée et j'avais (un peu) froid. Ça faisait longtemps.

LES OMBRES QUI TRAÎNENT
•RDA: 
Ou Road Development Authority
C'est écrit partout sur les panneaux de signalisation. Ça fait bizarre.
•CREAM SODA:
Je n'avais pas bu cette boisson depuis le Québec. Terriblement sucré. Terriblement bon. Ça a le goût du blanc des bonbons oeufs au plat Haribo. Il y a de très bons sodas. Pas ultra-sain mais parfait quand il fait chaud.
•ROSE:
Les hommes sri lankais adorent porter des t-shirts et des chemises roses.
•TRADUCTION FRAPPÉE:
Sandwich devient sand witch (une petite sorcière de sable pour le déjeuner?).
La relique de la dent de Bouddha, la Sacred Tooth, devient la Scared Tooth ( Bouddha a peur du dentiste?).
Et tant d'autres...
•BIG FISH:
J'ai mangé du barracuda. En pensant fatalement à Claude François.
•SUR-CULTURE, SOUS-CULTURE ET CULTURE:
Visiter un temple bouddhiste, puis regarder un film d'horreur, puis lire Proust dans la même journée? Je ne trouve pas ça incohérent. Il faut savoir être ouvert d'esprit (ou"open-buffet" comme dit Amedh, le photographe rencontré à Galle).
•LA ROUTE, LE VENT ET LA PEUR:
Ça n'est pas normal, j'ai beaucoup moins peur dans un tuk-tuk suicidaire, un bus fenêtres ouvertes qui se comporte comme une formule 1 ou sur une moto qui slalome à vive allure que dans une voiture moderne qui file sur l'autoroute...
Faut croire que d'avoir du vent sur le visage me rassure.
•ÇA VOLE:
Au Sri Lanka, il y a des corbeaux partout. Partout.
Ça crée une ambiance étrange.
Il faut que je revoie "Les oiseaux" d'Hitchcock.
J'ai vu des chauves-souris énormes. Amplitude des ailes déployées, un bon 60cm.
J'ai vu plein de lucioles. C'est très beau.
•IMAGE ET IMPUDEUR:
Ce voyage n'aura pas été aussi photographique que d'autres. Camille aimant la photo, cela ne lui cause aucun problème de me voir scotchée devant un bout de mur dont les épaisseurs de peinture et d'usure me plaisent. Mais pour les photos des lieux vivants et, des gens, c'est autre chose. Seule avec mon appareil, je me sens "avec" la personne que je photographie. Deux personnes, plus deux appareils qui pointent dans la même direction, ça, je le sens moins - ça fait trop, je me sens voyeuse-voleuse. Comme quoi, photographier me semble bien plus une expérience sensible qu'un acte simplement visuel ou esthétique. J'ai parfois été frustrée de ne pas me sentir aussi libre de photographier qu'à mon habitude. Mais après tout, ça n'est pas grave, c'était bien de voyager avec Camille. Chaque voyage est différent, chaque voyage a sa particularité.
•CE QUI REVIENT:
C'était étrange: le Cambodge m'a "manqué". Être en train de voyager m'a donné très envie d'y être, à nouveau - c'était très fort, là-bas, et j'ai été profondément émue par ce pays. Pourquoi y ai-je tant pensé en baroudant ailleurs?...
•URBAIN BOF:
Les petites villes de campagne sont assez moches. Très étirées, construites sur le modèle de deux trottoirs séparés par la route principale. Sauf à Jaffna et Colombo. Contrairement à d'autres pays asiatiques (vus de mes yeux vus), il n'y a guère de trace d'un héritage architectural colonial (parfois, c'est assez réussi, il faut bien des points positifs à la colonisation).
•VIEILLE FILLE:
"Tu es mariée?" est une question très vite posée.
Parfois, je dis que oui; c'est plus simple. Parfois, je dis la vérité.
"Mais POURQUOI?"
À mon âge, je suis déjà une vieille fille…
Peut-être, mais je suis heureuse d'être une femme occidentale.
•GÉNIE LAVER SANS FROTTER:
Entre la chaleur, la poussière et la volonté de voyager léger, on lave nos fringues tout le temps. Et même qu'on frotte. Plutôt trois fois qu'une. Je soupçonne les fabricants de lessive de mettre des particules grises dans la poudre. L'eau a tout d'abord une couleur douteuse et puis, au rinçage, c'est mieux.
Là, chez moi, la machine à laver tourne toute seule et c'est trop bien. 
•BUS BÉNI:
Les bus sont décorés et leur système de son balance parfois la musique a un niveau de décibels proche d'une boîte de nuit.
Pour se sentir autorisés à brûler le bitume comme des tarés, les chauffeurs disposent autour d'eux des statuettes ou des images de protection. Il y a souvent des divinités hindoues - ou Bouddha. Un jour, un bas-relief en plastique coloré orné de petites loupiotes clignotantes représentait côte à côte trois divinités hindoues, Bouddha, Jésus et une mosquée. Rien ne pouvait nous arriver. Et ça marche. La preuve, on est toujours en vie.
•À L'INVERSE DU THERMOMÈTRE:
J'ai raconté l'hiver à quelqu'un. J'ai expliqué le froid; la neige qui tombe, qui gèle ou qui fond; le son qu'on entend en y marchant; la glace; le petit froid et le grand froid...
•AUTORITARISME:
Les sri lankais font preuve d'une autorité naturelle irréfutable. Même quand c'est pour vous aider, en vous indiquant une direction à prendre ou pour vous inviter à vous assoir dans le bus ou pour vous proposer à manger, on a l'impression de se faire engueuler... 
•UN PETIT FRIGIDAIRE DANS VOTRE VALISE?
Pour nous, Singer, c'est les machines à coudre. Ici, Singer fait des frigos, des climatiseurs, des télés... D'ailleurs, au duty-free de Colombo, il y a plein de magasins d'électroménager. J'ai hésité à acheter une petite gazinière comme souvenir, mais bon... Et d'ailleurs, en voyageant sur Saudia Airlines avec une escale en Arabie Saoudite, interdiction de transporter de l'alcool, même si la destination finale est Paris. Il est interdit de faire monter une bouteille, même dans le sac scellé du duty-free, à bord de l'avion. Et le parfum alors? C'est pas de l'alcool ça peut-être?
•RACONTER PAR LE DEDANS:
Petite galerie d'art contemporain à Colombo. Certaines œuvres me chopent à la gorge. Ici, les gens ne parlent pas de la guerre et le travail de ces artistes me permet d'avoir accès à une compréhension parcellaire mais puissante. C'était très fort.
•Y VEUT QUOI?
Souvent les serveurs ont la drôle d'habitude de rester plantés à côté de la table, sans rien dire, à vous regarder. C'est spécial.
•ASSIGNATION NATURELLE DES TÂCHES:
Bonne complémentarité entre Camille et moi. Je gère le trajet et connaît à peu près par coeur le réseau ferré; Camille s'occupe des hôtels. S'il faut demander quelque chose je m'en charge et si un problème mérite de râler, Camille le fait. Camille conduit le scooter et je gère les relations publiques en saluant les gens qui sur la route nous disent bonjour. 
Dans les zones peu touristiques, il arrive souvent que les gens vous fassent un petit coucou de la main. Au Cambodge, c'était absolument incessant. J'avais pris l'habitude de faire coucou en reproduisant le petit geste de main rotatif de la Reine d'Angleterre. Ça rend ludique ce qui à la longue peut être lassant. J'ai montré ce truc à Camille et ça lui a beaucoup plu. On a salué des militaires comme ça. Vous essaierez un jour, vous verrez, c'est très amusant de se prendre pour la Reine d'Angleterre...
•PERDU LE LONELY:
En bonne habituée du Lonely Planet, je peux dire que celui-ci est raté: les infos sont à l'ouest et les prix réels sont deux voire trois fois plus élevés. Le Nord n'est presque pas traité (quoique dans le Routard, il paraît que c'est pire, il n’existe pas encore). Ce pays bouge vite, l'industrie touristique s'emballe et les prix des hébergements s'enflamment, vite chers au regard de la qualité. Pas si économique, ce pays, comparé à d'autres pays de la région. Je ne sais pas à quoi tout ça ressemblera dans quelques années, les booms touristiques suivent toujours des cours imprévisibles.
•SO POLITE:
Ça m'a fait plaisir de parler anglais. Je me suis aperçue que je parlais un anglais très poli; c'est amusant, j'ai l'impression de gagner des intonations diplomatiques en le parlant. 
•MÉTAL HURLANT:
J'ai adoré prendre le train. C'est folklo, on rencontre des gens, on aperçoit bien les paysages qui se modifient. Et puis, être assise à moitié dedans - à moitié dehors me rendais très joyeuse, j'étais gorgée de la sensation d'être libre. 
Parfois le train passe dans un tunnel et le noir est épais, comme palpable. Parfois, le train roule très en hauteur, on voit le gouffre et ça fait un petit truc dans les orteils. Parfois le train passe sur un pont et le bruit du métal vous saute au thorax. 
•SWEET AND EASY:
En gros, c'est vraiment facile de voyager dans ce pays. Les paysages sont magnifiques. Les régions sont très différentes les unes des autres et on circule facilement de l'une à l'autre. Culturellement, c'est beau mais pas tout dingue non plus. 
•BOUCLE BOUCLÉE:
Au final, on aura beaucoup bougé. Sans forcer, juste prises dans une dynamique, avec quelques pauses de rien, pour souffler.
Colombo, Mirissa, Tangalle, Galle, Mount Lavinia, Kandy, Haputale, Badulla, Batticaloa, Polonnaruwa, Dambulla, Anuradhapura, Jaffna, Mannar, Vavuniya et Colombo.
15 villes, dont trois de "transit". Beaucoup de gens nous disaient que cinq semaines pour ne faire "que" le Sri Lanka, c'était vraiment beaucoup... Ah bon… Et ils font comment, eux? Parce que nous on n'a pas tout vu.

ENCORE ENCORE!!!
Quand on se sent paumé dans sa vie "normale", on se dit qu'on ne devrait pas parce qu'on "connaît" et ça n'est pas agréable.
Quand on se sent paumé en voyage, on se dit juste que c'est parce qu'on ne connaît pas et qu'être paumé est normal - et, ça, c'est agréable.


Bon, et la prochaine fois, où irai-je? On verra bien, c'est pas le choix qui manque. Je veux bien rester sur l'Asie, je m'y sens définitivement bien.


Revenue dans votre fuseau horaire où, nom de dieu, que j'ai froid, je vous embrasse bien fort.

Valentine

Valentine AlaquiSri Lanka