Par le patrimoine et vers le vert

Chère famille, chers amis, chers proches lointains,
Quelques petites nouvelles du Laos, pays tout doux, tout lent. Mais après tout qui déteint sur qui? Est-ce ce pays qui me contamine ou ma nature qui contamine mon regard? Qui sait; quoiqu'il en soit, je me sens toute douce, toute lente...

BULLETIN SCOLAIRE DU CANCRE: "PEUT MIEUX FAIRE" 
Les colons français n'ont jamais réussi à faire du Laos une colonie "rentable". Ils disaient: "Les Vietnamiens plantent le riz, les Cambodgiens le regardent pousser et les Laotiens l'écoutent."
Et bien voilà. Il y a ici une langueur dans laquelle je me vautre avec délectation. Et depuis quelques jours, j'écoute pousser ce mail entre mes oreilles sans pour autant le laisser couler de mes doigts.
Ici le temps n'est pas perdu mais disparu, dilué dans la pluie qui tombe. C'est un pays où procrastiner.

SPEED-DATING
Je vous ai laissé lors d'une escale à Vientiane qui m'a servi d'entracte entre deux actes routiers où les bus sont de véritables véhicules à explorer des failles spatio-temporelles. J'y effectuais tant qu'à faire un petit repérage puisque j'y repasserai avant de quitter le pays. Comment y dort-on, qui y a-t-il à y voir, qu'y mange-t-on, quelle atmosphère y règne? Aurais-je envie de cette capitale comme d'un coup d'un soir ou aurais-je envie de flirter un peu plus avec elle? On verra. Pourquoi pas. Et en même temps, je pense que je ne bazarderai pas d'autres beautés possibles pour revenir à elle en courant. Nous verrons bien...

UNE ROUTE, LA NUIT
Bus de nuit Vientiane - Luang Prabang. 338km en 10h. Soit 33,8km/h. Oulala! Ça s'accélère encore!
Le bus est un bus de nuit so chic so class, tout neuf. Il y a trois rangées composées de couchettes superposées. Les allées centrales sont matelassées (en cas de surbooking). Les couchettes sont de vraies couchettes presque complètement horizontales. Presque. Toute la qualité de ma nuit tiendra dans ce mot "presque". Le dossier est légèrement incliné, comme un transat. Alors pour les grandes personnes c'est parfait, les pieds touchent plus ou moins le bout, la jonction siège-dossier est pile à la pliure des hanches. Sauf que sauf que, le skaï glisse. Et que je ne suis pas une grande personne. Du coup, dès que je m'installe, je suis inexorablement attirée vers le niveau des pieds. Alors soit je me retrouve recroquevillée sur l'équivalent de la longueur des jambes des grandes personnes, soit je me maintiens en calant mes pieds de chaque côté de la couchette sur un morceau de la structure. Mais comme je glisse aussi, j'ai très vite la sensation d'être chez ma gynécologue, les deux pieds bien calés dans les étriers de sa table de consultation. Et cette image ne me porte pas à bien dormir et faire de jolis rêves...
Mais outre ces désagréments proportionnels, ce bus est très beau et comme il est très neuf, la réglette de la bouche d'aération au-dessus de ma tête n'est pas encore cassée et je peux donc boucher la bouche. Donc même pas trop froid, sauf à un moment au milieu de la nuit où le chauffeur a dû avoir un coup de chaud et s'est lâché sur l'activation du froid. 
Nous nous sommes arrêtés pour une pause pipi. De chaque côté de la route, à la place des habituels bouis-bouis, des stands de poisson séché ou fermenté. J'étais un peu assoupie, il a fallu que la partie de mon cerveau qui pense s'ajuste à la partie de mon cerveau qui voit. Côté droit de la route: sept ou huit stands illuminés exposent de grands poissons séchés en grosses piles ou de plus petits poissons séchés tressés ou de la pâte de poisson fermentée enveloppée dans des feuilles de bananier. Côté gauche de la route: exactement la même image en miroir. En plus, ces produits sont utilisés pour cuisiner et pas tellement pour être mangés comme ça. On devait être dans une zone de production. Les gens en ont acheté un peu. Miraculeusement, ça ne sentait pas dans le bus. 
Vous imaginez... une route en France, la nuit, on s'arrête au milieu de vingt stands vendant de l'andouillette. Ou des échalotes. Ou du foie gras.
Il y a eu une autre pause vers 0h30 dans un resto de route. Soupe de nouilles pour tout le monde, c'était compris dans le prix du ticket. En Asie du Sud-Est les gens sont comme moi, quand ils voyagent ils s'ennuient, s'assoupissent, se réveillent, s'assoupissent, se réveillent, et du coup ont tout le temps faim.
J'ai eu un peu peur, au très petit matin, que nous n'arrivions pour une fois à l'heure. Arriver vers 5h30, ça va, les marchés se mettent en place, les stands de nouilles et les bouis-bouis à café aussi. Avant c'est du temps long à tuer en sac à dos. Surtout s'il pleut. Mais finalement, tout s'est bien passé, le chauffeur n'a pas accéléré le rythme en fin de parcours.

CLIC-CLAC CLICHÉ 
Premiers pas à Luang Prabang, petite ville royalement assise sur son importance historique, ses temples et ses monastères, et classée au patrimoine mondial de l'Unesco. C'est joli, charmant. Mais un peu chiant. J'ai pensé au Vieux Québec (à Québec au Québec). Le grand écart peut vous sembler avoir des jambes très longues mais ceux qui y ont déjà mis les pieds me comprendront. Ou si vous préférez, c'est comme la place Stanislas à Nancy, le marché de Noël à Strasbourg ou le Mont Saint-Michel. C'est propre et mignon, mais toutes ces enseignes de magasin avec la même typo ou la même couleur, ça fait toc, on a l'impression d'être dans un musée ou dans un parc Disney. 
Protéger sans enfermer, classer sans asphyxier, vaste problème...
Après quelques pas, je me dis que je risque de ne pas beaucoup aimer cette ville. Et puis finalement, j'y suis restée quelques jours et c'était agréable. 
Les temples, il y en a des jolis, d'autres sans intérêt, il faut choisir car qui dit classé dit touristique dit payant... 
En Asie du Sud-Est, tous les matins, vers 5h30-6h (voire bien plus tard dans les grandes villes), dans tous les patelins, dans toutes les campagnes, les moines défilent dans la rue pour récolter à manger. Les femmes (surtout, même si l'on voit aussi parfois des hommes et des enfants) les attendent, agenouillées devant chez elles, avec du riz fraîchement préparé qu'elles leur distribuent en échange d'une prière, de l'espoir d'une vie future meilleure et d'une réincarnation avantageuse. Ça, ça se fait partout. Mais allez savoir pourquoi, à Luang Prabang, c'est une attraction touristique, une expérience "à ne pas rater". Du coup, le matin, des files de touristes regardent des files de moines qui passent devant des files de femmes. Et du coup du coup, partout dans la ville, on peut voir de petites affichettes qui apprennent aux touristes à bien se comporter pendant cette cérémonie (être discret, ne pas coller son appareil photo sous le pif d'un moine, ne pas acheter de riz au vendeur de brochettes d'à côté et le donner aux moines comme on donnerait des cacahuètes à un singe sans rien saisir de ce que cela veut dire). Ça semble logique. Ce qui est embêtant, c'est qu'a priori, si de telles règles ont été édictées et largement distribuées, c'est qu'il y a quelques idiots, voire beaucoup, qui ont agi en dépit du bon sens. Il ne s'agit pas d'être ultra-cérémonieux à ce moment de la journée. Il est très tôt, les gens commencent à s'activer doucement, il n'est pas du tout question d'arrêter de respirer pendant que la chose se fait (comme lorsque retentit, aléatoirement dans le temps et le lieu, l'hymne national thaïlandais et que tout le monde doit se lever et s'immobiliser). Cela fait partie de la vie ordinaire et quotidienne. Il faut juste faire preuve de bon sens et de respect, qualités qui ne semblent pas être si généreusement répandues.
J'étais toujours dehors à cette heure-là, en balade juste comme ça ou pour aller voir un temple et j'ai croisé à deux reprises des touristes qui me demandaient, l'air paumé: " do you know where is the "monk thing", the ceremony?"
Ça m'intrigue. Ces gens ne démarrent a priori pas leur trajet à Luang Prabang. Alors quoi, où étaient leurs yeux avant, ne les ouvrent-ils que lorsque le guide leur dit de le faire?
Habituellement j'aime bien cet instant mais là, au milieu des paparazzis ça m'amusait moins alors je marchais plus loin. 
Ce besoin de prendre en cliché les clichés m'interpelle. J'essaie toujours de réfléchir en miroir quand je voyage. Est-ce que je tolérerais des touristes visitant la France ma manière d'agir en tant qu'étrangère ici? L'autre jour dans un temple, une femme parlait très fort avec son guide. Mais les temples sont des lieux vivants, toujours en activité et des gens viennent (aussi) y prier. J'avais envie de lui demander si elle parlait aussi fort quand elle visitait une cathédrale ou une chapelle, faisant profiter tout le monde de son appréciation des fesses joufflues et des joues fessues des angelots... Imaginez que l'on vous mitraille dès que vous allez chercher votre pain quotidien et que vous sortez de la boulangerie la baguette sous le bras. Il est vrai que mon boulanger ne se prosterne pas pour me donner mes croissants (ça pourrait être pas mal... quoique je préfèrerais largement que cela soit mon fromager, il a beaucoup plus de charme), c'est moins impressionnant. Ou si par malheur l'envie me prenait de mettre un béret, serais-je heureuse d'être immortalisée comme sur une carte postale? Ça fait réfléchir sur nos propres clichés, ceux qui sont connus et que nous véhiculons. Certes, les touristes photographient les joueurs d'accordéon à Montmartre mais eux, ils en jouent (du cliché comme de l'accordéon).
J'ai l'air de laisser entendre qu'il y a beaucoup de touristes à Luang Prabang mais en vrai ça va. Il y a certes plus de restaurants, d'agences de voyage proposant treks et sorties à dos d'éléphant, de magasins de souvenirs mais ça reste le Laos hein, et le Laos en basse saison. C'est juste qu'auparavant, je n'ai été que dans des endroits où il n'y avait personne. Il y a aussi un marché de nuit comme dans quasi toutes les villes d'Asie du Sud-Est. Tous les jours vers 17h, des marchands prennent d'assaut une rue et y installent stands de vêtements, de merdouilles, de brochettes, de bidules, de pancakes et ici de sandwiches sur baguette. C'est assez bon enfant et cela fait la joie des touristes comme celle des gens du cru. 
En m'y baladant j'ai compris où avaient disparu les éléphants d'Asie dont nous craignons l'extinction. En fait ces milliers d'éléphants ne sont pas morts, ils ont juste rétréci et ont migré sur les sacs et les vêtements pour touristes. Non seulement porter ces hideux pantalons aux motifs de pachydermes est une atteinte au bon goût mais en plus c'est un crime contre cette espèce animale. Moi j'ai toujours trouvé ça moche les porte-clés éléphants.
J'ai visité un lieu formidable,
The Traditional Arts and Ethnology Centre (TAEC). 
C'est le seul centre de ressources indépendant du Laos dédié aux divers et nombreux groupes ethniques du pays. Il y a un musée, un café où l'on peut regarder des documentaires et un magasin d'artisanat (pour des cadeaux équitables!). Le musée présente des éléments de la culture traditionnelle de ces minorités ethniques et indique ce qui reste et ce qui n'est plus d'actualité. Le centre est impliqué dans de nombreuses activités en collaboration avec les communautés, pour travailler à préserver et promouvoir leur héritage culturel tout en étant tourné vers le futur. Par exemple, le TAEC a monté un projet où de jeunes femmes issues de ces minorités ont été initiées aux rudiments de la réalisation de documentaires et qui, armées de leur caméra, ont récolté des témoignages de femmes de leur communauté sur des thèmes comme le travail, l'artisanat, le chamanisme, la médecine traditionnelle, le rapport à la famille, à la maternité, etc. De la culture vivante quoi! Enfin! Moi qui désespérais un peu en voyant tous ces prospectus vendant des treks ethniques, j'étais très heureuse de visiter ce centre, c'était fascinant et rassurant de voir qu'il existe des projets intelligents sur ces questions si fondamentales des groupes ethniques et la culture traditionnelle (ce qui ne veut pas dire morte). 

ACCENT SUISSE, UN INSTANT
Les gens que l'on rencontre en voyage sont comme des rues que l'on traverse. On marche au hasard et si la rue nous plaît, on se fera un plaisir de l'emprunter à chaque fois que l'on rentrera à son hôtel. Ou bien on changera de chemin pour rentrer chez soi. 
Un soir, au restaurant, je commence à discuter avec mes voisins de table, un couple de retraités suisses ayant toujours plus ou moins vécu en Asie du Sud-Est, et au Laos depuis quatre ans. Un couple très doux (en même temps, des Suisses vivant au Laos... ça serait un comble s'ils étaient nerveux) accompagné par un vieil ami à eux, prenant beaucoup de place (la sienne plus celle que laissent vacante ce couple si calme et discret) en volume physique et sonore. L'ami imposant est un réalisateur de documentaires, son fils vit à Montréal, son petit-fils fait du cirque, bref, nous avons quelques sujets de conversations possibles. Ils m'emmènent voir un concert dans un super bar, une petite session impromptue avec un guitariste anglais et une chanteuse folk australienne qui a une voix extraordinaire. C'est super. Il y a juste un groupe de touristes filles-super-filles-pépettes-hystériques qui parlent et rigolent tellement fort qu'il faut parfois tendre l'oreille pour entendre la chanteuse qui a pourtant un sacré bel organe. 
Je dis bonsoir aux deux petits suisses et avec le gros suisse, nous convenons de déjeuner ensemble le lendemain. 
Le gros Suisse est rigolo. C'est un monsieur très mastoc (genre du 115kg) de 71 ans qui continue pourtant à se faire des roadtrips en vélo (ou maintenant vélo long) pendant un ou deux mois. Il a réalisé des documentaires un peu partout, beaucoup voyagé, était très ami avec Nicolas Bouvier... Et tout ça est vrai, il n'est pas mytho, seulement extrêmement conscient du roman que constitue sa vie. Un homme beau peut perdre en beauté s'il a trop conscience de celle-ci. Son problème à lui n'était pas au niveau de la beauté. D'ailleurs à ce propos! Nous étions assis face à face et je commençais à décrocher un peu de son discours parce qu'il parlait fort et que moi, les gens qui parlent trop fort (et pourtant ça m'arrive aussi...) ça me fait reculer et je n'écoute plus. J'effectuais donc cet instinctif mouvement de retrait quand tout à coup, il me montre la vieille casquette rouge qu'il a amenée pour faire broder dessus le marteau et la faucille (et oui, suisse ET communiste, ça existe) et il se la visse sur le crâne. 
Oh! éblouissement! Oh! fou rire si plaisant et si difficile à contenir! 
Il faut savoir qu'Antoine le suisse est donc un gros monsieur de 71 ans avec une barbe blanche en "collier" (je ne sais pas si c'est le bon terme... en gros sa barbe ne couvre pas toutes ses joues mais forme seulement une bande qui suit l'ovale de son visage d'une oreille à l'autre). Avec un couvre-chef rouge, c'est l'incarnation de l'un des nains de Blanche-Neige qui apparaît. Ou encore mieux, la copie conforme du bonhomme dessiné sur les bouteilles de Chouffe (ou Chnouffe comme dirait un ami). 
Il était très sympathique mais un peu fatigant. Vous savez, ces gens qui s'intéressent vraiment à vous mais comme ce que vous dites leur rappelle toujours quelque chose de leur propre vie, vous ne pouvez jamais donner une réponse complète, qui ne soit pas interrompue. D'ailleurs vous comprenez vite que l'autre vous trouve formidable mais qu'il ne vous écoute pas vraiment non plus et que tout ce que vous direz sera broyé dans les mâchoires de son oreille distraite. Il avait aussi ce trait de caractère qui me mets très mal à l'aise et qui consiste à s'exprimer lentement et distinctement aux vendeurs ou serveurs; on pourrait croire que c'est parce qu'on ne maîtrise pas la langue de l'autre et qu'on fait un effort pour se faire comprendre, sauf que, de la façon dont c'est fait, ça donne surtout l'impression qu'on prend l'autre pour un débile profond. Ou bien devant un vendeur, s'adresser à vous en disant "c'est fou, tu as vu, ils sont comme ça, ils font comme ci..." Alors certes, le petit laotien en face ne comprend pas le français mais je déteste que l'on parle des gens devant eux comme s'ils n'étaient pas là; je trouve cela très gênant (et tous ceux qui te côtoient ma chère Caline, connaissent cette sensation puisque c'est un art dans lequel tu excelles!). J'ai décliné les propositions d'activité d'après déjeuner. Après tout je me lève à 5h30, il faut bien que je fasse la sieste. Mais c'était bien cette drôle de rencontre. C'était comme passer un moment avec un grand-père que je n'ai pas. 

MYSTÈRE SOUS LA DENT
Je suis restée plusieurs jours finalement à Luang Prabang. Je pensais en partir plus tôt mais pour des raisons qui seront sous-citées, j'y ai traîné un peu.
À Luang Prabang, j'avais trouvé une petite guesthouse sympathique, tenue par une sympathique famille, avec une chambre propre et un grand lit sympathique, un balcon sympathique. 
J'ai renouvelé la technique pique-nique, déjà un peu utilisée en Birmanie. J'avais instauré ce mode d'alimentation régulier au Cambodge et il se révèle encore plus utile ici. En fait, dans la rue, on trouve surtout des bouis-bouis à nouilles mais pas grand chose d'autre. Dès qu'on monte d'un niveau, les restaurants servent bien deux trois plats typiquement laotiens mais se replient très vite sur des recettes thaïlandaises. Or, il y a des tas de vendeurs de rue dans les marchés qui vendent des currys, des salades de bambou, des brochettes de poissons entiers fourrés à la citronnelle... Bref, plein de trucs trop bons. C'est là que les gens achètent à manger pour manger chez eux, donc pas sur place, donc c'est que du take-away, donc y'a pas de siège, donc y'a pas d'assiette. Donc, si tu en veux (et tu en veux parce que c'est comme ça que tu goûteras la cuisine locale) tu t'achètes un bol et une assiette et tu pique-niques à ton hôtel. Et ça vaut vraiment le coup parce qu'il y a des plats délicieux. 
Le matin, j'allais donc faire mon marché, ce qui faisait bien rigoler les marchands. Il faut croire que je suis un ovni: une petite blanche qui va au marché, qui n'achète pas que des bananes, et demande le prix en laotien... Les marchands ont bien compris l'alimentation de base et rassurante qu'aime se procurer "l'homme blanc"; au marché on vous dira "bananas?", au restaurant "noodle soup?", au stand de brochettes "chicken?". Non non non! Je veux le truc bizarre là! Je veux la surprise dans la feuille de bananier dont tu ne sais pas m'expliquer ce que c'est (note: dans les feuilles de bananier on trouve aussi bien du riz rouge sucré que du poisson fermenté que des douceurs à la noix de coco et même parfois des bananes (cuites)...)! Je veux les petites boules colorées là (serait-ce des légumes, des fruits, des sortes de noix?)! Parfois, en goûtant, je comprends ce que je mange. Mais pas toujours. Bon, il arrive que cela plus ou mois concluant. Mais en général, c'est chouette. 
Ce matin par exemple, j'ai vu au marché de toutes petites boules noires, comme des bigorneaux; je n'en avais jamais vu et ça m'intriguait. La vendeuse m'a fait goûter (ce qui est pas mal parce que s'il faut acheter tout un sac pour goûter c'est moins pratique). Et bien il s'agit de toutes petites châtaignes dans leurs cosses. J'en avais mangé des comme ça en Birmanie mais elles étaient rôties (délicieux). Alors que là, elles étaient bouillies et c'était très bon aussi. Du coup j'en ai acheté un petit sac. 
Enfin, ne vous inquiétez pas, je ne me suis pas transformée en ogresse sans papilles, je ne mange pas tout non plus, curieuse oui, poubelle non.
Par contre, je mange toujours les minis gousses d'ail. Mais je vous promets d'arrêter quand je vous retrouverai.

PARADIS T'ES OÙ? 
Un petit effet domino m'a amenée là où je suis aujourd'hui. Pas aujourd'hui dans ma Vie avec un grand V, je vous épargnerai cela, l'effet domino existe aussi bel et bien mais cela serait trop long, et là n'est pas le sujet. Non, juste aujourd'hui dans mon voyage (qui fait quand même grandement partie du domino de ma vie cela va sans dire). Avant d'arriver à Luang Prabang, j'avais repéré des adresses de cours de yoga dans le Lonely Planet. Je me disais que ça pouvait être pas mal tiens, ce n'est pas en voyage que je suis la plus sportive, quelques petits exercices de-ci de-là mais la muscu ou le yoga dans ma chambre d'hôtel, c'est pas ce qui me fait tripper. (Oui, encore une fois, je n'avais qu'à faire des treks, j'aurais gagné en forme physique et en parts d'héritage futur). Donc, oui, un peu de yoga pourquoi pas, mon corps pourrait me remercier. Finalement, l'un des deux endroits organise ses cours en extérieur mais avec la pluie ils sont systématiquement annulés, et quant à l'autre studio, ça a l'air pas mal mais c'est pas donné donné. Et puis surtout, Luang Prabang ne me plaît vraiment pas suffisamment pour que j'y prolonge mon séjour, même pour le bien-être de mon corps. De fil en aiguille, je tombe sur une information concernant une retraite de yoga dans une petite ville où j'ai l'intention d'aller parce que l'endroit a l'air sublime. Tiens, une retraite... je pourrais me faire une petite retraite de yoga après une retraite de méditation. Je suis peut-être un peu jeune pour être une retraitée mais après tout, vu comme va le monde, je ne suis pas sûre d'en toucher une un jour, de retraite. Par conséquent, je peux bien la prendre à l'âge qui me convient.

Finalement, il s'avère que les retraites de yoga en question ne commencent qu'en octobre. Par contre, l'hôtel est ouvert. Je regarde quelques photos. Mon Dieu! mais c'est le jardin d'Eden!  Dix petits bungalows meublés avec goût sur jardin ou sur rivière, petite piscine qui donne sur des falaises karstiques tout autour, vélo et tapis de yoga à disposition; ça a l'air génial.
Et que vois-je? "low season prices" et "special offer: 3 nights for the price of 2" l'un sur l'autre. En gros, je peux avoir un bungalow à 24$ au lieu de 47$. C'est plus qu'à mon habitude mais c'est tentant. Très tentant... 
J'ai donc décidé de m'offrir une retraite toute personnelle, dans un lieu de villégiature magique. Alors non, ce n'est pas une retraite parce que c'est grand confort et grande douceur mais l'idée c'est quand même de reprendre un moment "à part" pour "boucler la boucle". Je n'ai pas encore fini mon périple, je suis partie depuis huit semaines et il m'en reste deux, et deux semaines c'est beaucoup, mais disons que je suis dans la dernière partie de mon trajet. La retraite au monastère du début de mon voyage est restée très présente en moi et il faut prendre soin des choses que l'on apprend car elles sont volatiles quand elles sont jeunes. Et c'est un peu ce que j'ai envie de faire là. J'ai trouvé un lieu parfait pour songer à tout ça, faire un point pour calmer le cerveau qui a si vite tendance à partir en courant comme un dératé. 
Pour la merveilleuse promotion de 3 nuits pour le prix de deux, il me fallait choisir un multiple de trois. J'ai d'abord songé à six et puis non, j'ai dit neuf! Et j'ai réservé. Et je suis partie vers cet endroit magique dès qu'une chambre s'est libérée (d'où ma petite attente dans la ville Unesco).
D'habitude, je ne réserve pas vraiment pour plusieurs nuits, je vois sur le coup mais là c'était mieux de le faire si je voulais profiter de mon petit paradis à ma convenance. 
Pour aller vers le paradis j'ai pris le bus. Si un jour je décide de rejoindre "l'autre" paradis, je passerai sous un bus. Mais pour le moment ça ne me dit rien, je me contente sobrement des paradis terrestres.
La route était vraiment magnifique; rizières, falaises, verdure, rivière... Et pleine de trous, ce qui faisait geindre une petite vieille, et ses lamentations boudeuses faisaient rigoler tous les autres passagers. Le chauffeur s'est très souvent arrêté pour faire pipi. Il avait dû boire trop de café. Ou alors il avait des problèmes de prostate. Ou bien tout simplement, c'était le matin. Et le matin c'est diurétique (je l'ai constaté lors de trajets matinaux au cours desquels, bien qu'ayant fait très attention à ne pas trop boire, j'avais quand même très vite envie d'évacuer du liquide de provenance mystérieuse). N'empêche, c'est génial les arrêts pipi dans ce pays. Déjà, en général, en Asie du Sud-Est, comme les gens mangent sans cesse, on s'arrête régulièrement. Mais ici, c'est étonnant, les hommes pissent tout le temps. Plus que les femmes! Parfois le bus s'arrête et tous les mecs partent en courant dans les herbes hautes... Et même, si tu n'en peux plus et que ta vessie crie au supplice, tu peux demander au chauffeur de s'arrêter et il le fait! Cela apporte une certaine quiétude mentale que de le savoir car rien n'est pire que d'être pliée en deux et de s'entendre dire que "non, la prochaine pause est dans 1h30". En plus, j'ai un jour appris qu'il pouvait être très dangereux d'avoir un accident (ça tout le monde le sait) la vessie pleine. Ça peut être mortel (même si l'accident ne l'est pas) car si la vessie pète (au sens d'exploser), vous pouvez être fatalement intoxiqué de l'intérieur! Voilà pour le point anatomie des transports.

C'était un minibus et nous roulions les fenêtres ouvertes donc je ne peux rien ajouter à mon traditionnel point clim, si ce n'est qu'il n'y en avait pas.
Résultat des courses: 141km en 3h. Soit 47km/h. C'est dément! Chaque trajet va de plus en plus vite! À cette vitesse-là, je vais bientôt remonter le temps et arriver avant d'être partie et vous ne me retrouverez plus jamais car jamais je n'atteindrai la date butoir du 15 août.
En franchissant les derniers mètres qui me séparaient du paradis, un petit doute m'a assailli. Ne me serais-je pas un peu trop emballée, moi qui ne réserve jamais, en réservant neuf nuits au même endroit? Parce que parfois existe entre la promesse et la réalité un fossé boueux d'où vous regardent moqueuses les gueules pleines de dents des crocodiles de la déception (c'est n'importe quoi cette métaphore, je vous l'accorde, mais c'est celle qui me vient alors je la laisse). Mais non, je me dis que non parce que mon intuition m'a dit oui trois fois oui et que jusqu'à présent, elle ne m'a pas trop trahie. Ces petits nuages de soupçons ont vite été dissipés; l'endroit est tout bonnement merveilleux. Mon petit bungalow est parfait. De la chambre, un escalier mène à une mezzanine sous le toit (bien pour se protéger de la pluie) mais ouverte sur le jardin (bien pour regarder la pluie et sentir son odeur). Et tout autour, franchement, le paysage est impressionnant. Et les paysages impressionnants sont toujours un peu émouvants. 
Voilà donc où j'en suis. Je sens que cet endroit va me faire du bien. Il m'arrivait un truc bizarre ces derniers temps; au restaurant ou au café, je mettais un temps fou à choisir ma table et la chaise que j'allais occuper à cette même table et, souvent, je changeais trois fois de siège avant de trouver "ma place". Et j'ai perdu mon porte-monnaie deux jours de suite. Il n'y avait pas beaucoup d'argent dedans mais quand même, à ce rythme-là, c'est la dèche assurée. Je crois qu'un sas de stabilisation ne me fera pas de mal.

J'ai changé de bord d'eau. Des rives du fleuve Mékong, je suis passée aux rives de la rivière Nam Ou. C'est donc avec la grosse Nam Ou que je pense à vous, et avec ces rochers patriarches qui veillent au grain que j'espère que vous allez bien.
Je vous embrasse bien fort,

Valentine

Valentine AlaquiLaos