Un petit dernier

Alors bon.
Me revoici me revoilà.
Cinq fuseaux horaires et vingt-et-une heures de voyage plus loin et moi, encore un peu entre les deux, dans un lieu indéfini.
Tout est encore si proche, les derniers jours encore dans les pattes.
Par exemple le Mondulkiri, à l'est du Cambodge où j'ai retrouvé une amie anthropologue de Camille (et ma soeurette, ta pote est top!) et son copain. Dans ce coin plus montagneux la pluie pleut pas mal. On s'est fait une virée à moto sous une pluie battante pour essayer de retrouver une femme qui fait des tissages traditionnels. On a cherché sous la flotte aux villages Dak Dam 1, Dak Dam 2, Dak Dam 3 et Dak Dam 4. On a trouvé (dans 1,2,3 ou 4?). Trempés, nous sommes repartis heureux d'avoir trouvé de belles écharpes tissées par la petite dame assise dans sa petite maison en bois. 
Puis du soleil. Une ballade dans un bois près d'une rivière où nous avons suivi la piste fraîche d'un éléphant sans réussir à le rattraper. Eh bah dites-donc, quelle pointure de chaussures, c'est impressionnant quand même... Et puis, à un moment, plus d'empreintes, la bête a dû s'envoler...
Je me suis enfoncée dans la gadoue, j'ai cru que ma chaussure allait y rester. Là-bas la terre est rouge comme de la glaise. Elle en a d'ailleurs également la texture, on pourrait la modeler. Et elle colle à la peau, j'ai cru que mes pieds avaient été à jamais teints en rouge.
Le lendemain j'ai vu un éléphant qui servait d'escabeau à un mec qui réparait un toit. Bah normal quoi...
Puis trajet en bus vers une autre ville. Pénible. Ponctuel pour une fois mais pénible. Une clim à fond de fond, même avec pull et chaussettes ça caille glaglagla, une musique à fond de fond fond dont les basses font trembler les os et des coups incessants de Klaxon à fond de fond qui font grincer les tympans... Bref, long.
J'ai vu des plantations d'hévéas qui pleurent leur latex blanc dans des petits bols et une usine de caoutchouc où l'on rentre comme dans un moulin.
J'ai mangé des tas de brochettes, dont des brochettes de grenouilles farcies au gingembre qui sont juste top, des oeufs fécondés comme j'en avais déjà mangé au Vietnam (y'a pas à dire, c'est pas beau mais c'est vachement bon) et même de l'araignée gros format frite (bon, c'est pas exceptionnel, pas mauvais mais pas dingo non plus).
Puis derniers jours à Phnom Penh, toujours avec Céline et Vincent. Nous avons été invités à un concert de punk anglais dans un bar. Très rigolo, des british de soixante ans, échoués au Cambodge depuis des années et qui chantent les Clash avec pas mal de classe, je dois dire. Sympa pour la musique mais glauque pour le reste. Lieu plutôt branchouille, plein d'expatriés aux bras de jeunes Cambodgiennes de vingt-cinq ou trente ans plus jeunes qu'eux. Des petites minettes qui n'ont pas froid aux jambes et qui sont exhibées comme des trophées. Et encore, on était dans un bar "classe"... Plus loin autour, il y a les bars miteux où de vieux schnocks dégueulasses se font masser les épaules en buvant la bière (qui leur étirera un peu plus la peau du bide) par des gamines.
Dans le quartier de ces bars, c'est dingue, il y a à peu près deux distributeurs par coin de rue. C'est un "détail technique" auquel je n'avais pas pensé mais effectivement, faut bien payer ses consommations.
Alors bon, oui, le tourisme sexuel, on sait que ça existe mais quand on le voit, ça fait un peu mal au bide. Et ce qui est terrible, c'est cette espèce de connivence entre mecs, cet “affichage” - il n'y a rien de caché, c'est normal, valorisant de se montrer avec sa gamine de seize ou dix-sept ans... Ça pose un sacré nombre de questions sur la féminité... sur la virilité...
Malgré cela, Phnom Penh s'est révélée être très agréable, une grosse ville que l'on apprécie en la découvrant, je crois. Un très beau musée d'art khmer m'a donné très envie de retourner à Angkor.
Il y a eu un après-midi de grosse mousson; en quinze minutes, l'eau dans les rues est montée à hauteur des genoux. Nous nous sommes assis pour déjeuner les pieds dans l'eau dans un boui-boui de bord de marché. La soupe grasse et sale dans laquelle nous pataugions n'était pas si gênante; après tout, quand tout le monde s'en fout... J'ai fini par poser mes pieds sur un tabouret quand j'ai senti un bon scolopendre de 7 cm me grimper sur la cheville... Faut pas déconner non plus, ça peut faire mal ces bestioles.
Puis dernier matin, petit déjeuner au marché et réserves de fruits, légumes, friandises sucrées et salées pour prolonger un peu l'exotisme pendant le voyage.
Celui-ci fut un peu long, l'horaire de mon avion ayant été modifié. Du coup, au lieu d'un transit d'une heure et demi à l'aéroport d'Ho Chi Minh, j'y ai passé huit heures... Pour passer le temps, je suis allée faire une manicure-pédicure, expérience totalement nouvelle pour moi. Elles ont fait ça comme des cochons, j'ai les petites peaux autour des ongles qui s'arrachent toutes seules maintenant... Expérience décevante et ratée.
Donc long long mais, au moins, je dors tout le temps dans l'avion; ça passe plus vite.
Et puis Paris. Arriver un dimanche matin à sept heures au mois d'août est assez génial. On réintègre doucement la ville, qui est belle et calme. 
Un homme m'a aidé à porter mon sac dans les escaliers du métro. 
Je suis passée devant un café de noctambules où se mêlaient sur la table les derniers verres à shooter et les premières tasses de café.
J'ai retrouvé les choses vues et revues comme si j'étais partie depuis très très très longtemps. Certaines semblent identiques, d'autres ont changé. La statue du penseur de pierre près de chez moi a pris des couleurs; on dirait maintenant un croisement entre Rodin et Calder. Mon gardien a lui perdu des siennes, il a l'air tristoune et ne fait plus de blagues sur les moulins rouges jaunes ou gris de Paris. 
Il y a des petits luxes quotidiens que j'ai retrouvés avec plaisir; une bonne douche chaude, ma brosse à dent électrique, un café devant ma vue sur Paris...
J'ai mangé un tartare avec des frites et des cornichons; j'ai bu du vin.
J'ai perdu l'habitude de choisir comment je vais m'habiller mais il est assez agréable de porter des vêtements vraiment propres, lavés à la machine et tout...
J'ai un petit problème de communication avec les gens - je reste perplexe devant les étagères du supermarché; c'est juste une histoire d'habitudes et de codes, surtout, que l'on oublie vite quand on les abandonne en voyageant.
Donc voilà, j'atterris quoi. Et on atterri toujours plus lentement que son corps.
Ceci dit, j'ai rencontré quelques voyageurs au long cours qui voyageaient aussi parce qu'ils n'aimaient pas leur vie chez eux. J'admire cette capacité de partir à l'aventure pour un temps indéterminé, ce courage. Mais je dois dire que je suis heureuse d'aimer suffisamment ma vie ici pour avoir malgré tout envie de revenir.
Alors je vais doucement profiter de Paris, des amis qui sont là, apprendre mon texte de l'Idiot, trier mes photos, préparer la "rentrée des classes".
Les prochaines histoires seront racontées tout haut mais il fallait bien ce dernier message pour en quelque sorte boucler la boucle, même si le voyage continue bien plus longtemps que sa durée réelle.
Enfin, c'est un bien beau cadeau que je me suis fait là, c'est tellement enrichissant d'aller voir ailleurs. Alors, à quand la prochaine vadrouille et où donc, il y a tellement d'itinéraires possibles!
Je vous embrasse bien fort et on se voit bientôt dans le même fuseau horaire.

Valentine

Valentine AlaquiCambodge