Des rails et de la road

Chers amis les jours filent. En voici quelques bribes...

ON A ÉCHOUÉ À KANDY
Donc oui Kandy.
Kandy, une ville avec un beau grand lac ceint par une route qui ressemble à une autoroute; pas toujours de trottoir, des voitures qui filent à vive allure. Et c'est compliqué de traverser quand il y a des virages partout. 
Kandy et son temple où se trouve une relique d'une dent de Bouddha.
Beaucoup de fidèles y viennent le soir pour une cérémonie. Ça c'était intéressant. J'ai pas bien compris si on avait vu la dent.
Ville de tous nos échecs. 
Sans gravité. 

Parfois, il vaut mieux cesser d'avoir une quelconque initiative, une seule action, la moindre vélléité.
Je me souviens d'un soir où j'ai renversé une tasse de tisane sur mon lit puis cassé un verre puis fait tomber mon tapis de bain par la fenêtre. Je me souviens du moment où je me suis vautrée sur le tapis roulant de Tête Haute et du lendemain où je me suis coupée un bout de pouce en faisant des carottes râpées. Dans ces moments où tout se catastrophise, mieux vaut ne rien tenter de nouveau.
Comme à Kandy.  

Il paraît que les cinghalais du centre du pays et surtout de Kandy (capitale culturelle et spirituelle!) sont snobs. On confirme.
Compliqué de trouver un hôtel potable à un prix potable. Et puis le patron qui veut nous arnaquer. Camille se fâche à sa manière, moi à la mienne. Simultanément, on décide de partir et le vilain monsieur nous fout dehors. Ok, parfait, au moins là-dessus on est d'accord. 
Bon.
Puisque toutes les piaules même pourries sont chères, on va payer un peu plus pour aller dans un bon hôtel. Tu parles, les chambres "standard" donnent sur une espèce de plate-forme en béton, l'eau chaude est froide et on a droit au wifi que dans les parties communes... (Par contre, les buffets repas-petits déj sont une tuerie, ça on ne peut pas leur reprocher).
Bon.
On décide de visiter un jardin d'épices, ça a l'air super beau. Exceptionnellement fermé pour cause de funérailles.
Bon.
Jusqu'au tuk-tuk qui devait nous emmener à la gare qui est sérieusement à la bourre.
Jusqu'au distributeur où Camille veut tirer des sous et qui n'acceptait que les MasterCard et pas les Visa.
Jusqu'au train qui est le premier que nous avons pris qui était en retard.
Jusqu'au bout, cette ville fût un échec. 

Seule réussite, même si on a eu du mal a y arriver (Kandy reste Kandy), Camille avait un entretien avec une femme incroyable à la tête d'une ONG, Association for Women Affected by War. Elle en impose, une énergie d'ouragan, une voix forte, un anglais extrêmement rapide et ciselé. Une grande dame. Pendant le conflit armé, les femmes étaient vraiment combattantes aux côtés des hommes et non pas reléguées à la cuisine ou à la lessive. Par contre, après la guerre, si. Leur rôle n'est pas pris en compte et leurs histoires personnelles ne sont pas reconnues. Alors on se reconstruit comment? Cette femme est une féministe qui donne envie de l'être. À l'opposé de ce discours anti-hommes; comme si la progression des unes dépendait de l'écrasement des autres (ça m'a toujours gênée). Elle parle de recherche d'équilibre. Elle dit tout simplement que si quelqu'un se sent menacé, il aura peur et voudra attaquer. Entre femmes et hommes, entre deux êtres, entre deux nations, entre deux religions... C'est d'une logique implacable; et pourtant... 
Il y a plusieurs mois, un sondage auprès de la population russe (enfin bon, sondage sondage, faut voir comment c'est fait, n'est-ce pas) révélait qu'une grande majorité des gens préférait que leur pays soit craint plutôt que prospère. On est mal barrés.

TRAIN-TRAIN PAS QUOTIDIEN
Du train et beaucoup de train. On s'est nous même rétrogradées de la seconde classe à la troisième classe, en courant d'un wagon à l'autre, quand le train s'est arrêté à une gare. Ça a bien fait marrer les sri lankais. J'en ai perdu mon châle. 
Entre un wagon de seconde classe plein de touristes qui n'ont pas l'habitude de ne pas avoir de place assise et un wagon de troisième classe plein de gens qui savent se caler et trouver un minimum de confort là où, a priori, il n'y en a pas, mieux vaut la deuxième option.

Le trajet est assez grandiose; on traverse les plantations de thé, les rails du train sont à une hauteur vertigineuse.

WOULD YOU LIKE A CUP OF TEA MY DEAR? WITH MILK? SUGAR? AMPUTATION? CANCER?
Haputale: réconfort. Des plantations de thé partout. Une petite guesthouse dans les montagnes. Meublée avec ce terrible goût asiatique: couvre-lit à fleurs, fausses fleurs et fruits en plastique, meubles en bois lourd et vernis foncé, chaises en plastique. Mais les propriétaires ont réussi à rendre cet amalgame très cosy; toute la petite famille est charmante, la vue est superbe, la cuisine de la maman est divine. On se sent "comme à la maison", comme on dit.

Pas loin, un monastère bénédictin où l'on visite une partie de la maison de Sir Thomas Lester Villiers, un planteur de thé. Dans le salon, le canapé est sous plastique; dans les bibliothèques poussiéreuses, des ouvrages sur les heures de gloire du colonialisme britannique et quatre biographies de Marie Stuart. Les moines vendent de la confiture.

J'ai expliqué à notre hôte étonné qu'en Europe, les moines étaient davantage portés sur la fabrication d'alcool.  

Nous n'avons jamais réussi à voir la fin de notre film d'horreur entamé à Mount Lavinia. On a lu un résumé sur internet. On a réussi à voir le deuxième opus.

Camille pense que je suis une psychopathe: je regarde sans ciller (voire en me marrant) les scènes de tortures les plus crado qui, elle, la font disparaître sous les draps.

Vue la piètre qualité du réseau internet, je ne suis pas sûre que nous puissions assouvir notre délire de films gores. C'est malheureux parce que, franchement, c'est rigolo.

Et puis, à Haputale, Yoga... Un chauffeur de tuk-tuk à la banquette défoncée (et qu'il faut pousser un peu le matin). Un matin, il arrive en chantant:
- I'm from South Africa! 
-?
-They are black too no?
Et moi de lui expliquer que oui, mais pas pareil, et puis que, bon, l'Afrique du Sud...
-Do you like my skin color?
Oui. C'est très beau cette peau très très noire qu'ont les indiens du sud et certains sri lankais (d'ailleurs plutôt les tamouls, qu'on a fait venir d'Inde pour exécuter des travaux que les cinghalais refusaient - par exemple, le rude travail dans les plantations de thé).
Avec le tuk-tuk de Yoga, on se tape une route de montagne où il y a plus de nids de poule que de poules capables de les creuser, jusqu'au Lipton's Seat, magnifique panorama où Sir Thomas Lipton (ils s'appellent tous Thomas?) venait se ressourcer, s'inspirer, se reposer...
Et puis, re un peu de route tape-cul jusqu'à l'usine de thé. C'est poussiéreux, il y fait une chaleur à crever, on y fait les trois-huit dans presque toutes les salles.
Chaque employé est tenu de ramasser 18kg de feuilles de thé par jour. La zone ressemble à un empire; là, le panneau pour la maison du manager; là, celui des bungalows des assistants manager; là, l'école de la zone... 

Au retour Yoga s'échauffe sur la route à trous. Les gens sont exploités et le gouvernement n'est même pas foutu de faire une route correcte. Il y a souvent des accidents avec les machines, des mains coupées et il n'y a pas un hôpital ou un médecin correct. Les ouvriers ne vivent pas vieux: cassés, les poumons noirs. Dans l'usine, les employés ne portent pas de masques. Mais quand le manager vient, il en porte un. Si les ouvriers cessaient de travailler pendant un mois, l'économie sri lankaise s'effondrerait (je comprends bien Papa pourquoi on vous a refusé l'autorisation de tourner le documentaire...). Et pourtant, on a visité l'usine, on a payé l'entrée, on a sillonné la région en tuk-tuk au milieu des cueilleurs... C'est toujours un peu ambigu. 

TRAIN-TRAIN TOUJOURS PAS QUOTIDIEN
Du train encore. Moi j'aime vraiment beaucoup ça.

ALLEZ LÀ OÙ ON VOUS DIT QUE “WHY ?”
On coupe un long trajet en deux. On dort à Badulla, au bout de la ligne de train. Tout le monde nous demande “pourquoi diable va-t-on à Badulla?” Et bien, justement, parce que pourquoi diable voudrait-on y mettre les pieds, c'était super. Une ville hors-circuit avec "rien" à voir; ce qui, bien sûr, est faux - l'intérêt d'une ville n'étant pas proportionnel au nombre de ses monuments - une ville "normale" de province, dans une région montagneuse superbe, avec une cascade juste à côté.
Et un autre chauffeur de tuk-tuk, Shanter, un homme absolument charmant qui nous a pris sous son aile de a à z, jusqu'au dernier petit cafouillage d'un bus annulé. Par ici, la route est toute neuve et même encore en construction. Il me dit:
- Ça, c'est une route construite par les chinois. Et, vers Colombo, la route est construite par les coréens.
- Et pourquoi les routes ne sont pas construites par les sri lankais?
- Je sais pas. Peut-être que si les sri lankais s'en chargeaient, la route ne serait plus bonne au bout de deux mois.
Ah...

ROULE TA BOSSE
Cap à l'est, du bus et beaucoup de bus; 6 heures de route (plutôt sans trous!) en lacet. Quand un véhicule arrive en face, on se demande quel est le mode d'emploi mais ça passe. Il fait bien chaud et sur certains bouts de trajet on est bien collé-serré avec son voisin mais tout ça file plutôt bien. Le paysage est sublime, on passe doucement de la montagne à la côte. En quelques heures, le paysage change radicalement, on est encore ailleurs.
Et l'ailleurs en mots sera pour plus tard...
On a encore bougé. Il y a tant de choses à raconter. Mais je vous laisse faire une pause.
J'espère que vous allez bien.
Les moustiques viennent tout juste de sortir et papillonnent. Mes baisers risquent d'avoir un goût d'anti-moustique spécial tropiques mais je vous les envoie quand même.

Valentine