Et oui, je reparle. Bla bla bla
Chers amis, chère famille,
J'ai retrouvé ma langue et mon téléphone.
Alors je ne suis pas Nicolette Bouvier, Sylvaine Tesson, Blaison Cendrars, Henriette Michaux ou Alexandra David-Néel (tiens, une vraie femme écrivaine-voyageuse...) mais je vais tenter de vous raconter quelques petites choses ressenties sous mes petits petons et dans mes mirettes.
SEPT ANS AU TIBET
SEPT JOURS À WAT KOW TAHM
KIF-KIF
Alors donc voilà me revoilà, sortie d'une drôle d'expérience, dix jours dans un monastère bouddhiste, dont sept jours de méditation et de silence organisés comme suit:
4h-4h30: la cloche sonne
4h30-5h15: méditation assise
5h15-5h30: chants
5h30-6h15: yoga
6h15-7h: méditation assise
7h-8h30: petit-déj, repos
8h30-9h30: enseignement sur la méditation
9h30-10h15: méditation en marchant
10h15-11h: méditation assise
11h-13h: déjeuner, travaux (moi j'aidais à nettoyer après le déjeuner par exemple), repos
13h-13h45: méditation assise
13h45-14h30: méditation en marchant
14h30-15h30: enseignement sur le bouddhisme
15h30-16h15: méditation en marchant
16h15-17h: méditation assise
17h-18h30: chocolat chaud, thé, repos
18h30-18h45: chants
18h45-19h30: méditation metta (sur la bienveillance et la compassion)
19h30-20h15: méditation en marchant
20h15-21h: méditation assise
Et là, tu te laves les dents et je vous jure, il est 21h15 et tu dors sans souci...
En tout 51 méditations assises (plus de trente-huit heures) et 28 méditations en marchant (vingt-et-une heures) que j'ai parfois comptées comme un gamin compte les pièces dans sa tirelire ou comme un naufragé tient le compte des jours autant que faire se peut.
Alors maintenant, que dire, que raconter? Certes la question est inhérente à chaque récit de chaque aventure. J'ai commencé à écrire, des trucs plus ou moins concrets, plus ou moins drôles, plus ou moins introspectifs mais même en étant concise, ça prend des plombes. Pour vous éviter l'indigestion je vais me mettre au régime. J'écrirai peut-être la petite histoire de ce moment-là mais si je le fais ça sera un bonus comme sur les dvd, le ketchup sur les frites ou le lait dans le café (ou le café dans le lait), c'est optionnel.
Pour résumer en plus que lyophilisé, disons que chaque jour j'ai eu envie de partir (en courant), et chaque jour j'ai eu envie de rester (assise). C'est la deuxième envie qui a eu raison de la première (et puis il faisait trop chaud pour courir). Et je suis bien contente. Ça a été difficile parfois, drôle souvent et fascinant tout le temps.
Voilà qui est dit!
C'est peu, c'est mystérieux mais si je ne vous racontais que des trucs profonds, ça serait à côté de la plaque et si je ne vous racontais que des trucs concrets rigolos, ça serait de l'autre côté (de la plaque).
En guise de mots accrocheurs, en vrac: zombies, oeil au beurre noir, rire (parfois fou: les nerfs, parfois clair: la joie), chagrin politique et chagrin métaphysique, look de bateau ivre quand je médite et je trouve ça moyennement chic...
Pour la théorie, c'est un peu comme les livres de Stephen Hawking. On comprend tout de l'univers et de la physique quantique en lisant mais après, pour tout recracher dans le bon ordre, c'est une autre paire de manches.
Une retraite c'est un peu comme une immersion physique et intellectuelle dans une philosophie (heureusement c'est pas Nietzsche).
La méditation que nous pratiquions n'était supportée par aucun élément extérieur (ni mandala, ni chakra, ni mantra, ni thème) et axée uniquement sur l'instant présent, ce truc bien caché dans sa botte de foin.
Une semaine comme ça requiert une honnêteté et une acuité implacables envers soi et le monde (ou du moins ce que l'on en sait). Et c'est épuisant parce que parfois on n'en a vraiment pas envie. Et c'est fascinant parce qu'on en a pour longtemps à fouiller tout ça.
Il y a des endroits où il y a des retraites de trois jours. Étonnamment je pense que si j'avais fait seulement trois jours, ç'aurait été fini, jamais je n'aurais renouvelé l'expérience. Alors que là, je me dis que sans doute je referai une retraite un jour. Trois jours c'est juste la difficulté, ça prend du sens après.
La phrase-clé était "Note it, known it and let it go". Je vous raconterai.
Bon finalement je vous en ai dit un peu, le plus sera pour plus tard, à la voix ou au stylo.
Oh et une dernière chose! Cher Jérôme, j'ai pensé à toi tous les jours parce que tous les jours il y avait la méditation Metta (sur la bienveillance et la compassion) et c'était la seule qui était "dirigée" (donc où l'enseignant parlait et où il fallait "penser" à quelque chose). Et ça commençait toujours par "Close your eyes" et systématiquement dans ma tête j'enchaînais avec notre tube beatlesien. D'ailleurs si on sélectionne les paroles ça donne une super mantra pour cette méditation (dont l'appellation en anglais est Loving-kindness):
CLOSE YOUR EYES
...
REMEMBER I'LL ALWAYS BE TRUE
...
AND I'LL SEND ALL MY LOVING TO YOU
...
AND HOPE THAT MY DREAMS WILL COME TRUE
...
AND I'LL SEND ALL MY LOVING TO YOU
ALL MY LOVING
I WILL SEND TO YOU (ouh ouh)
ALL MY LOVING
...
I'LL BE TRUE
J'ai dû tourner ma langue sept jours dans ma bouche pour le dire à mes collègues...
UN PEU DE PÉPÈRITUDE À BANGKOK
Après la retraite, beaucoup avaient décidé de rester un peu sur la plage pour émerger tranquillement. Moi je retournais à Bangkok avec l'intention de ne rien y faire de particulier outre mon visa pour la Birmanie mais j'étais bien contente de retourner en ville.
Le train de nuit de mon retour n'avait que des wagons climatisés et j'ai cru découvrir le Pôle Nord en dormant. Pourtant ils donnent de bonnes couvertures moelleuses. Au milieu de la nuit, je suis allée me réchauffer un peu entre deux wagons où l'air chaud du dehors rentrait un peu dedans.
À Bangkok j'avais réservé une chambre dans un très chouette hôtel où j'avais passé quelques nuits il y a deux ans. Ils ont fini les travaux qui étaient en cours à l'époque et ouhlala! c'est chic! Ça a un peu augmenté mais pas trop et ils sont toujours aussi sympa. Le resto sur le toit (avec un toit mais tout ouvert sur les côtés) donne sur la rivière, il y a du vent et de bons gros canapés. J'y passe beaucoup de temps et selon l'heure à laquelle j'arrive, les serveurs savent s'ils doivent m'apporter un café, un coca ou une bière (d'ailleurs, la première après dix jours presque plus que trop sains m'a bien assommée). J'en profite pour dessiner, ça m'a manqué pendant la retraite (il était déconseillé de lire, d'écrire ou de dessiner; au 5e ou 6e jour, j'ai craqué, j'ai ouvert un bouquin... mais c'était un livre du Dalaï-Lama, donc presque plus du zèle que de la triche). Je profite donc de pouvoir m'installer tranquille parce qu'autant, les croquis de base et les idées, je peux faire ça n'importe où mais pour bien dessiner avec l'encre et tout, j'ai quand même besoin d'une table, d'un peu de calme et d'un peu d'espace et je sais que je n'aurai pas toujours droit à ça dans les semaines à venir. Et puis les habitudes se prennent vite, je me sens comme à la maison ici; comme un escargot ou une tortue on peut très bien trimballer la sensation d'un chez-soi en étant ailleurs si l'on s'y sent bien.
J'ai enfin pu retrouver mes amis; Marcel (Proust), Henri (Michaux), Dalaï (Lama), Céline Minard et Edgar Hilsenrath (ces deux-là je ne les connais pas encore, je ne vais donc pas tout de suite les appeler par leur petit nom).
Bangkok est définitivement une ville bizarre qui sent la clim ou les poubelles dans la même rue, le chic ou la crasse. Hier j'ai vu un marché d'artisanat genre marché de Noël sur les Champs Élysées sous un viaduc d'autoroute.
Il y a beaucoup trop de plats de cuisine de rue bons à manger par rapport au nombre de repas raisonnable. Parfois, je sature du sucre; il y en a une quantité industrielle dans tout. Il y a plein de trucs pas sains qui font envie, juste par curiosité, comme des chips aux noix de Saint-Jacques, à la soupe Tom Yum (piment, crevette, citronnelle, à la salade française (?!), des espèces de mikados salés dont j'étais tombée assez fan la dernière fois (au maïs (très bon, ils adorent le maïs), aux carbonaras...); il y a deux ans j'en avais trouvé au goût de toasts et c'était étonnant parce que ça avait vraiment une saveur de tartine mais oh! déception, ils sont désormais introuvables, des trucs à l'ovomaltine (ah... l'ovomaltine... de la Suisse à la Thaïlande il n'y a qu'un pas) comme des gâteaux et des bonbons. Les rues sentent la brochette et ils font du poulet frit assez fou, franchement, le colonel de KFC peut aller se raser la moustache. Après il y a aussi des délices plus diététiques, de la salade de papaye, de la salade de mangue verte, des soupes épicées à la citronnelle et au galanga, des légumes rigolos, des jus de fruit à gogo, des fruits à se rouler par terre. D'ailleurs parlant de rouler, qui sait si je ne vais pas moi-même rouler comme une bouboule avec tout ça... Quoique, ils bouffent tout le temps mais ils ne sont pas gros. Enfin bon, pour les gens qui croient que la cuisine asiatique est très saine et bien c'est pas faux pour tout mais c'est pas vrai pour tout non plus.
J'ai vu un moineau courser un papillon. Ils avaient presque la même taille mais pas la même férocité.
Il y a un truc qui m'a toujours fascinée en Asie du Sud-Est. Les commerces sont regroupés par genre et par rue. Tous les magasins d'une même rue vendent la même chose. C'est pratique quand on cherche un truc ou un machin x ou y mais je me demande comment les commerçants arrivent à s'en sortir en étant tous côte à côte. Il y a la rue des bijoutiers, la rue des ferrailleurs (moi j'habite par là, il y a des carcasses de motos partout, ça sent le métal et le caoutchouc), la rue des papetiers (ça se dit ça? comment appelle-t-on les propriétaires de papeteries?).
Hier je me suis dit "Tiens, il fait bon aujourd'hui". Il faisait 34•. Comme quoi tout est contextuel.
J'ai rencontré un ami d'amie qui vit à Bangkok depuis 12 ans et ne parle pas thaï parce qu'il trouve cette langue moche. Par contre il prend des cours d'italien. Allez comprendre...
J'ai fait mon visa à l'ambassade du Myanmar (selon les pays, on dit Myanmar ou Birmanie, ça dépend de la légitimité accordée au régime en place. En France on dit Birmanie, au Myanmar on dit Myanmar). J'ai dû remplir un formulaire assez complet, incluant religion et couleur de peau.
Et il y a toute une page sur ton métier, il faut parler de tes deux derniers jobs (intitulé, employeur, dates, fonction à remplir). Quand j'écris actrice, j'ai vraiment l'impression d'écrire saltimbanque, d'ailleurs le mec se marrait en lisant. J'ai donc écrit Tête Haute et Petit Eyolf et preuve qu'ils décortiquent bien chaque ligne, il m'a dit "Petit what?" pour vérifier qu'il s'agissait bien d'un Y.
J'ai pris l'habitude de dormir et de me lever tôt au monastère. Ça va sûrement se redécaler mais comme je trouve l'habitude plutôt bonne j'essaie de la conserver un peu. Depuis le 10, je ne me suis jamais endormie après 23h ni couchée après 5h45. C'est normal pour plein de gens mais pas pour moi. Je médite un peu le matin même si c'est plus difficile qu'au monastère; ce n'est pas la même ambiance et je n'ai pas mon petit banc de mamie pour m'installer comme il faut mais je le fais quand même, pas longtemps mais quand même.
Et puis vers 7h, c'est l'un des moments les plus chouettes dans la rue. Ça s'active, ça mange des soupes de nouilles, ça commence à griller les brochettes (ou les toasts au barbecue!), à couper les fruits. Je ne sais pas si l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt mais le présent c'est sûr.
À chaque voyage je me pose la même question (existentielle) à propos de la lessive. Comme on ne peut pas voyager avec Marcel, Henri, Dalaï et compagnie et avoir une garde-robe de folie (de toute façon, franchement à quoi bon?) surtout quand on mesure 1,54m et qu'il faut que la taille du sac à dos respecte une proportion décente, bref, je n'ai pas beaucoup de vêtements et je les lave souvent. Et je me demande si mes fringues sont aussi sales à Paris mais que je ne le vois pas parce que c'est ma machine qui fait le travail ou si c'est simplement parce que je voyage dans des pays collants et poussiéreux ou s'il y a des particules grises dans la lessive... Sans doute un peu des deux (la lessive grise ça doit être une idée farfelue).
À BIENTÔT
D'AILLEURS ENCORE
Bon, chers amis, chère famille, sur cette grande et profonde question, sur ce tout un peu mastoc (mais bon quand même, il faut m'excuser, mais je n'ai pas parlé pendant sept jours...) et fort désordonné, je vous laisse.
Demain je pars pour la Birmanie et j'ai l'impression qu'il s'agit de mon troisième départ (le premier avant l'avion, le deuxième avant de plonger dans la retraite et le troisième maintenant avant de commencer à vraiment bourlinguer).
J'espère de tout cœur que vous allez bien et je vous embrasse de l'autre bout du monde. Ou plutôt "d'un autre bout du monde" parce que "de l'autre" me donne l'impression que la terre est toujours plate, avec une extrémité d'un côté et une autre à l'opposé. On a peu évolué sur certains aspects mais bon quand même...
Donc je vous embrasse d'un autre bout du monde.
Valentine