Luxure, montagne de thé et gras de porc...

Alors donc donc donc...
Lundi matin départ de ma douce retraite. 
Quel bon moment.
Nécessaire aussi je crois.
Et le cours de massage ne m'a pas manqué, ça sera pour une autre fois. Et puis Homprang m'a dit que de toute façon, j'étais bien trop fatiguée en arrivant pour vraiment en profiter.
D'autant que l'ayant expérimenté, je ne suis que plus intéressée par cette pratique, j'ai très envie de l'apprendre et surtout avec Homprang, c'est une femme vraiment incroyable. Elle est dépositaire d'un savoir ancestral, qu'elle pratique et qu'elle transmet. Elle continue à chercher comment l'améliorer quand elle a des patients compliqués pour trouver le meilleur protocole de soin adapté à chaque situation. Elle a grandi dans le Nord de la Thaïlande, en pleine période opiomane. Elle se souvient de l'odeur de l'opium, qui sentait si bon. Elle se souvient que tous les hommes sont devenus incapables de faire quoi que ce soit, obligeant les femmes a tout prendre en charge, du moins plus encore que d'habitude. Elle a arrêté l'école a onze ans. Elle y est retournée à 37 ans pour apprendre à lire et à compter. Elle était plus âgée que les élèves, plus âgée que le professeur. Puis elle a fait des stages. Le premier en massage thaï, le second en herboristerie. Elle s'est alors rendue compte qu'elle savait tout ça, et même mieux que l'enseignant. Simplement elle ne savait pas que ce savoir était intéressant, quelque chose dont on pouvait faire un "vrai métier". Pour elle, c'était juste normal d'avoir ces connaissances. Elle a donc passé tous les diplômes d'état successifs et voilà, maintenant elle soigne, elle enseigne et elle est très reconnue dans son travail.
C'est intéressant je trouve cette idée que l'on en nous des ressources, un savoir dont on ne sait pas qu'il peut être  utile, important. 
Son mari, Christopher est un drôle de bonhomme, enthousiaste, très vite fasciné par les choses. Né à New York dans une famille plutôt conservatrice, il a fait son lycée en Angleterre, enseigné la littérature puis est devenu marin. Il a vécu quelques années en France sur son bateau ou sa péniche avec une comédienne française... Puis un concours de circonstances l'a amené en Thaïlande où il a de nouveau enseigné la littérature. Il est devenu poète.
Ce sont pourtant des gens tout à fait normaux, ils peuvent être fatigués, énervés, rigolards, Homprang ne supporte pas son gendre, bref, comme tout le monde quoi!
C'était bien pour moi d'être chez eux. Il y a eu des fois cette année où je me disais que j'allais partir faire une retraite dans un monastère zen pour couper un peu. Mais je pense que la rigueur et l'austérité ne m'auraient pas fait de bien, ça n'aurait été qu'un autre moyen d'être dans la force, en force. J'avais davantage besoin de douceur et de souplesse. Là, j'ai un peu eu ma retraite cool. D'habitude, il y a toujours une dizaine de personnes pour les cours et les traitements mais comme ils m'ont accueillie à un moment où ils étaient "fermés" j'étais seule comme une reine. Des gens passaient pour des massages ou autre mais simplement pendant la journée. Du coup, la journée, chacun faisait sa vie, je goûtais une douce solitude et le soir nous dînions ensemble. Christopher dit qu'en deux semaines, j'ai changé de tête. Sans doute... Et puis rester deux semaines d'affilée quelque part, c'est pas mal en fait!
En partant, j'étais un peu émue et j'avais la sensation de partir de nouveau en voyage; une seconde fois.

Direction Mae Salong, près de la frontière birmane.
Arrêt de transit à Tha Ton à cause des horaires de bus. Ce n'est pas une ville d'un grand intérêt mais je ne faisais qu'y passer. Il y a par contre un très grand temple, sur une montagne, avec neuf niveaux et une statue ou un autel sur chacun. Ça a l'air très beau. Il y a aussi une école de petits moines qui déambulent dans leur vêtement orange.
Malheureusement, je me suis arrêtée entre le premier et le deuxième niveau. En montant un escalier, je sens quelqu'un derrière moi. Je me retourne et que vois-je? un jeune moine de quinze ans environ qui me suis en s'astiquant le membre avec dévotion.
J'aurais pu être flattée d'avoir fait triompher un moment la nature et d'avoir remplacé un instant Bouddha et les hautes pensées spirituelles... Mais non. Je ne pense pas que le petit moine m'aurait fait quoi que ce soit mais bon, je n'avais pas du tout envie de voir ça et je n'avais pas du tout envie de défroquer un moine, j'ai donc filé dare-dare à la buvette du premier niveau. Pas trop le désir de gravir dans la montagne les huit étages restant en regardant derrière mon épaule si l'adolescent en rut était toujours là...
Comme quoi, un garçon de quinze ans reste un garçon de quinze ans, peu importent les circonstances. Et puis si l'on rajoute une petite dose d'interdit et une pincée de frustration.
L'un des neveux d'Homprang était un petit garçon très sage qui, vers huit ans, a décidé qu'il voulait absolument devenir moine. Il a passé un an a tanner ses parents qui ont finalement accepté de le laisser aller suivre cet enseignement. Il a eu le crâne rasé et les sourcils aussi, ce qui lui a complètement changé la tête et a fait un drôle d'effet à ses parents. Il a donc commencé son apprentissage. Quand il revenait chez lui le week-end, ses parents devaient se prosterner devant lui, sensation étrange pour tous les trois. Mais le plus dur pour la mère et le fils fut qu'ils ne pouvaient plus se toucher, puisque tout contact avec une femme est interdit à un moine. Voici donc un petit garçon de neuf ans qui ne peut plus embrasser sa mère, une mère qui n'a plus la possibilité d'embrasser son fils. Le sage petit garçon est devenu un vrai fauteur de troubles, enchaînant les bêtises et au final, se faisant virer du monastère. Comme quoi, on ne devient pas moine en claquant des doigts...
Je n'aurais donc vu que la déesse de la compassion. Soit...
Pourtant, je vous assure que mon niveau de sexytude est absolument à zéro avec ma gueule d'ado (personne ne croit sue j'ai 27 ans), mon pantalon large, mon t-shirt large, mon grand châle rose, mon bob et mes birckenstock... (et ouais! j'ai un super look et je m'en fous! quoi que je serai quand même contente de m'habiller un peu joliment à mon retour). Et puis entre la pudeur nécessaire dans les temples et celle aussi je l'avoue que je préfère avoir en tant que "femme blanche" et le soleil qui crame la peau et dont je me protège...
Je me demande si cette réaction qu'il a eu est la même pour toutes les femmes mais je crois que le côté "white skin" n'y est pas pour rien. Est-ce la projection d'un Ouest libéré donc amoral ou amoral donc libéré?
Enfin toujours est-il que quand j'essaie de visiter un truc "officiel" c'est pas toujours gagné, entre les jours de fermeture que je choisis pour visiter les palais et les moines libidineux... Il ne manquerait plus qu'une vieille mine explose à Angkor... Ça c'est un lieu touristique officiel mais j'ai vraiment vraiment envie d'y aller!

Quoi qu'il en soit, le lendemain, départ en petite camionnette jaune pour Mae Salong. Une quarantaine de kilomètres et une heure et demi de trajet. En même temps, c'est une route de montagne et on a envie d'encourager le pauvre petit véhicule à chaque montée. Ptt pttt ptt, allez vas-y! La route est très belle.
Mae Salong est proche de la frontière birmane, en plein ex-Triangle d'or, un ancien haut lieu du trafic d'opium où les feuilles de thé ont désormais remplacées les fleurs de pavot. La région reste malgré tout une plaque tournante du trafic métamphétamines. C'est un petit bout de Chine en Thaïlande, très semblable au Yunnan apparemment; l'architecture est différente, il y a des inscriptions en chinois devant les échoppes, les gens regardent la télé chinoise, parlent aussi le dialecte du Yunnan, mangent des spécialités yunnanaises et une grande partie de la population est d'origine chinoise. Un régiment de l'armée chinoise nationaliste s'était réfugié en Birmanie suite à la révolution chinoise de 1949 mais en a été chassé par le gouvernement de Rangoon en 1961. Cette population s'est donc installée au nord de la Thaïlande, dans un paysage montagnard qui leur était finalement assez familier.
Voilà pour la partie scolaire de mon mail mais à défaut de nous rendre plus intelligents, ça permet de comprendre pourquoi il y a ce petit coin de culture chinoise en Thaïlande.
Il y a aussi plusieurs ethnies traditionnelles dans la région. La chose étrange avec les gens de ces tribus, c'est que le mode de vie traditionnel, notamment vestimentaire, est conservé à la fois parce que c'est comme ça mais aussi avec la conscience d'un certain attrait touristique (pourtant, ça ne déborde pas de voyageurs par ici). Par exemple, les femmes, avec leurs habits bigarrés, demandent à être payées pour être prises en photo. L'artisanat demeure mais existe aussi dans sa forme cheap et commercial, comme dans une imitation de son propre savoir-faire. Enfin, ça existe partout, ce grand écart entre la volonté d'un essor économique et social niant le passé et la muséification de la culture originelle. Comme si la conciliation de l'ancien et du moderne était très difficile. Mais ça c'est une question qui questionne ou devrait questionner toutes les cultures. Comment respecter la tradition sans la scléroser pour autant? Comment être vivant sans renier le passé?
Mon dieu, mon dieu, j'ai l'impression d'être bien scolaire aujourd'hui!
Aujourd'hui c'est assez brumeux. Et c'est beau cette ouate blanche sur les montagnes vertes.
La nourriture type Yunnan est très savoureuse mais bien grassouillette par rapport à la cuisine thaïe. Ils adorent le porc, les nouilles jaunes et surtout le gras de porc cuisiné; c'est tout sauf halal!
J'ai goûté les traditionnels beignets chinois du petit déjeuner que l'on mange avec du lait de soja sucré au marché du matin ouvert de 5h à 8h. C'était bon mais j'ai eu la sensation de boire au moins une tasse d'huile. Mais en effet, ne dit-on pas que les chinois sont plus "chubby" que leurs voisins asiatiques?
Le thé est très bon. C'est du oolong très amer mais j'aime bien ça. La route est parsemée de manufactures de thé.
Sur ce, je vais aller me balader un peu.
Donnez-moi vos adresses postales Camille ma soeur, Camille mon amie (j'ai un doute), Delphine, Marie-France, les Ricordeaux (j'ai un autre doute), David, Maman (j'ai un doute de plus), Mimi. Charlotte je t'envoie ça chez moi, Papa et Florence c'est bon, je m'en souviens!
Je n'ai pas encore vraiment vu de cartes qui avaient un peu de gueule alors peut-être qu'elles seront un peu moches et/ou kitsch. Encore faut-il que j'y pense hein!
Je vous embrasse en direct des brumeuses plantations de thé.
Je pense bien à vous et j'espère que vous allez bien.

Valentine